À voir et à entendre les médias égrener les cas de corruption, de collusion et autres gabegies depuis maintenant des années, il faut se demander si nous n'avons pas collectivement développé la triche comme une espèce de mode de vie.

Présentement, la commission Charbonneau, comme un feuilleton télévisé, tient une partie de la population en haleine chaque jour. Or, ce défilement de mafieux et de ripoux de tout acabit entraîne un double effet.

D'une part, il permet de cibler les cercles de privilégiés (élus, fonctionnaires, entreprises et entrepreneurs, sans compter les milieux criminels) qui, depuis des années, détournent les fonds publics à tire-larigot. Si ces personnes sont reconnues coupables de fraude, qu'on les punisse, se dit-on.

Mais, d'autre part, si de telles pratiques ont permis d'agir avec autant d'impunité et d'empocher des sommes faramineuses, alors qu'on ne vienne pas m'enquiquiner s'il m'arrive de tricher un peu ici et là dans mon quotidien pour des vétilles. C'est comme si mettre au jour le banditisme éhonté de cercles limités de privilégiés venait légitimer, en quelque sorte, le laxisme au quotidien des gagne-petit! L'excuse est toute trouvée: tout le monde le fait.

Cette bonne conscience au rabais permet évidemment toutes les formes de travail au noir, de paiement «sans les taxes», devenues omniprésentes. Elle ouvre la porte à toutes les triches, combines, petites faveurs ou passe-droits (les «extra» en tous genres), dans le cadre d'activités rémunérées autant que bénévoles, dans la suspension de toute règle ou civilité dans divers comportements quotidiens de la vie en société.

Aucune loi, aucun règlement ne peuvent contrer des pratiques qui sont aussi répandues. La raison en est fort simple: nos comportements en société reposent avant tout sur un ensemble de principes de moralité que chacun d'entre nous doit avoir intégré. Or, nous vivons présentement dans un climat généralisé d'individualisme qui nous fait clamer haut et fort le respect de nos droits, mais passe le plus souvent sous silence nos responsabilités. S'ajoute au précédent le conditionnement à la consommation effrénée avec l'obligation de multiplier les sources de revenus, sans se soucier vraiment des façons d'acquérir cet argent.

Pas facile de tenir, encore moins d'imposer, un discours de renforcement de la moralité dans pareille ambiance qui incite de plus en plus de personnes au chacun pour soi et met la solidarité citoyenne en veilleuse.