Dans le métro de Montréal, lorsqu'une interruption de service est annoncée en raison de «l'intervention des ambulanciers», c'est un secret de polichinelle qu'il y a eu tentative de suicide. La nouvelle est pourtant tue de crainte, dit-on, de donner l'idée à d'autres individus d'imiter le geste. Cette mesure est-elle efficace pour prévenir les suicides? Peut-être. Peut-être pas.

Au triste et bouleversant chapitre des drames familiaux, le coroner Yvon Garneau a récemment montré un doigt accusateur envers les médias dans le cadre de son enquête à la suite du drame ayant coûté la vie à deux enfants de 2 et 8 ans en mai 2011 à Saint-Edmond-de-Grantham, après que leur père eût fait exploser le véhicule dans lequel ils se trouvaient.

Me Garneau suggère que le père aurait pu être influencé par les informations rapportées par les médias sur un autre drame familial et sur la preuve présentée au procès de Guy Turcotte. Il recommande notamment au Conseil de presse de s'assurer que la diffusion d'informations sur les drames intrafamiliaux soit restreinte et pertinente, tout en respectant le droit du public à l'information.

Au soutien de ses conclusions, le coroner Garneau cite l'opinion d'une psychologue voulant que les personnes vulnérables, après une rupture amoureuse ou un litige sur la garde des enfants, peuvent devenir influençables par les propos relatés par les médias sur les drames familiaux.

La mère des victimes s'est quant à elle dite en désaccord avec les conclusions du coroner, croyant plutôt qu'il importe de parler de ces tragédies afin de sensibiliser la population.

Et si Annie Lampron avait en partie raison? A-t-on en effet pensé que transmettre la nouvelle de ces drames pouvait aussi servir de bouée de sauvetage à des êtres en détresse?

Pour certaines personnes, souvent des hommes, peu enclines à partager leur peine et leurs tourments, l'exposition au récit de ces gestes funestes peut devenir l'ultime occasion de crier leur détresse et de confier à un proche avoir, eux aussi, pensé commettre l'irréparable dans l'espoir de soulager leur souffrance. L'étalage de ces catastrophes est évidemment bouleversant, mais il peut aussi devenir le premier pas sur le chemin de la guérison.

Les médias ne doivent pas pour autant rejeter d'un revers de main la critique formulée à leur endroit. Les circonstances justifient assurément un sérieux exercice d'introspection et invitent à revoir certaines pratiques et à se questionner sur ce qui peut légitimement être qualifié d'intérêt public.

Par ailleurs, le monopole de la transmission de l'information n'appartient plus exclusivement aux médias traditionnels. Le citoyen ordinaire participe plus que jamais au partage de la nouvelle par l'intermédiaire des réseaux sociaux et des diverses plateformes comme YouTube. En ce sens, la recommandation du coroner Garneau nous enjoint tous à exercer un minimum de jugement avant d'appuyer sur le bouton «envoyer».

Le défi consiste donc à trouver le juste milieu dans le traitement et la diffusion du quoi et du comment. Une mission plus difficile qu'il n'y paraît, et probablement un voeu pieux, à une époque de féroce concurrence où les faits scabreux et les détails choquants sont souvent ce qui permet de remporter la très convoitée première place au concours de popularité.