Le Parti québécois propose, s'il est élu, de mettre en place une « Charte de la laïcité » pour le Québec. Cette charte interdirait, entre autres, le port de signes religieux ostentatoires par les fonctionnaires. Cette interdiction est, certes, motivée par un principe noble, la neutralité de l'État. Cependant, elle n'est pas un bon moyen pour réaliser ce principe, en plus d'être discriminatoire.

Convenons, d'entrée de jeu, que l'État a un devoir de neutralité, c'est-à-dire qu'il ne doit pas accorder de privilèges ou de faveurs à un groupe au sein de sa population qu'il n'accorde pas à d'autres.

Convenons aussi que ce devoir de neutralité s'applique non seulement au contenu de la législation, mais aussi à l'application de celle-ci. C'est donc dire que les fonctionnaires et autres agents de l'État, chargés d'appliquer les lois, doivent le faire de façon impartiale, sans favoriser un citoyen plutôt qu'un autre, y compris en raison de son appartenance à un groupe quelconque, qu'il soit religieux, ethnique ou autre.

Convenons enfin que l'application de la loi doit non seulement être neutre, mais aussi paraître neutre. Il ne suffit pas qu'une décision d'un fonctionnaire soit neutre. Il faut aussi qu'un citoyen, du moins un citoyen bien informé et objectif, n'ait aucune raison de douter de la neutralité de la décision.

L'interdiction des signes religieux ostentatoires viserait à assurer l'apparence de la neutralité des fonctionnaires. Au travail, au moment d'appliquer la loi, le fonctionnaire représente l'État plutôt que le groupe religieux auquel il appartient dans sa vie privée. S'il lui est permis de s'identifier à un groupe religieux en particulier, ne risque-t-il pas de favoriser les membres de ce groupe? Ne risque-t-il pas, surtout, de provoquer chez le citoyen qu'il sert une crainte raisonnable de partialité?

Non. La crainte que, par exemple, une fonctionnaire qui porte le hijab manque à son devoir de neutralité n'est pas objective ou raisonnable. En fait, l'idée que l'apparence physique d'un fonctionnaire doit être neutralisée pour s'assurer qu'il exercera ses fonctions avec neutralité tient du mirage ou de l'hypocrisie. L'apparence physique d'une personne révèle généralement son appartenance à toutes sortes de groupes : à un sexe, à une race, à une certaine tranche d'âge. On ne songerait pas à imposer la burqa comme uniforme pour les fonctionnaires (hommes et femmes, bien entendu), pour éviter que les citoyens ne sachent s'ils sont servis par un homme ou par une femme, par un blanc ou un noir, un jeune ou une personne âgée.

Nous savons que le fonctionnaire, le policier, le juge à qui nous faisons face appartient à un ou plusieurs de ces groupes. Pourtant, nous devons, comme citoyens, présumer de leur bonne foi et de leur neutralité.

L'appartenance religieuse n'est pas différente des autres formes d'appartenance. Elle est, parfois, facilement identifiable. Mais il n'est pas davantage raisonnable de douter de l'impartialité d'une fonctionnaire qui porte le hijab du seul fait qu'elle est musulmane qu'il serait de douter de son impartialité parce qu'elle est une femme. L'interdiction du port des symboles religieux par les fonctionnaires est irrationnelle.

Elle est aussi discriminatoire. Non seulement discrimine-t-elle entre les religions, puisque, certaines religions - dont la religion de la majorité des Québécois - n'imposent pas à leurs adeptes le port de symboles qu'on cherche à interdire. Elle discrimine aussi entre les membres d'un même groupe religieux, dans le cas des religions qui, tels l'islam et le judaïsme, impose le port de symboles ostentatoires à un sexe mais pas à un autre. Ainsi, l'interdiction proposée dans un souci de neutralité et d'équité entre les hommes et les femmes aurait pour effet d'empêcher les femmes, mais non les hommes, musulmans de servir l'État québécois.

L'interdiction des symboles religieux ostentatoires dans la fonction publique serait irrationnelle et injuste. Il s'agirait d'une mesure simpliste, qui privilégierait les apparences au détriment d'une égalité réelle et d'un véritable souci de vivre-ensemble.