Rarement avait-on vu le visage de François Legault aussi rayonnant et son regard aussi pétillant que dimanche, au moment d'annoncer la candidature de Jacques Duchesneau et la création de son équipe de trois incorruptibles avec Maud Cohen et Sylvie Roy pour le seconder.

François Legault transpirait de l'excitation du pêcheur qui a quitté le port depuis belle lurette et qui, après des semaines d'infructueuses tentatives, rentre au bercail avec LA prise; celle qui fera l'envie de ses comparses, lui vaudra tapes dans le dos et félicitations et qui lui permettra de passer à l'histoire.

Nul doute, donc, que la taille du poisson est imposante. Je ne suis pas certaine, par contre, qu'il soit aussi candide qu'il le prétend. Jacques Duchesneau a affirmé qu'il n'avait jamais pensé faire le saut en politique avant que Jean Charest ne s'accorde une note de 8/10 dans la lutte à la corruption. Je soupçonne plutôt Jacques Duchesneau d'avoir nourri cette ambition depuis un certain temps et d'avoir simplement attendu le moment propice pour se lancer.

Rendons néanmoins à Jacques Duchesneau ce qui lui appartient en lui donnant une note presque parfaite pour le charisme, qualité qui fait si cruellement défaut à son chef. Il s'est par ailleurs imposé en Robin des Bois de la lutte à la corruption et son parcours de chef de police lui fournit la crédibilité nécessaire pour porter le chapeau de défenseur de la loi et l'ordre. Il a témoigné avec calme et aplomb devant la Commission Charbonneau et ne s'est pas laissé démonter en contre-interrogatoire.

À vue de nez, il semble donc difficile d'exprimer des reproches à Jacques Duchesneau. Quoique. Quoiqu'on pourrait avancer l'idée que mû par des ambitions personnelles, il a jeté un pavé dans la mare à un moment soigneusement choisi en faisant état de son enquête parallèle sur le financement des partis. Quoiqu'on pourrait ajouter qu'à ce jour, il n'a fourni aucune preuve solide au soutien de ses allégations.

Gouverner une province ne peut se résumer à lutter contre la corruption et le parcours de Jacques Duchesneau, aussi reluisant soit-il, ne peut lui garantir un laissez-passer vers le pouvoir.

À peine 24 heures après la bruyante annonce de la CAQ, tant François Legault que Jacques Duchesneau se sont emmêlé les pieds dans leur filet de pêche en commettant certaines bourdes qui ne passeront pas inaperçues et ont déjà été savamment récupérées par leurs adversaires.

D'abord, François Legault a d'ores et déjà annoncé que Jacques Duchesneau deviendrait son vice-premier ministre, advenant une victoire de la CAQ. Non seulement la déclaration était en soi présomptueuse, mais j'ai cru entendre des soupirs se pousser et des dents grincer parmi les disciples de la première heure de la CAQ et les transfuges de l'ADQ. Parions que les orgueils meurtris ne tarderont pas à se manifester.

Ensuite, Jacques Duchesneau a proclamé qu'il serait apte à nommer des ministres et à superviser la lutte anticorruption. François Legault a vitement rappelé qu'il serait le seul patron. Y a-t-il eu malentendu entre les deux hommes sur l'étendue des pouvoirs qui seraient confiés à Jacques Duchesneau? Chose certaine, cela confirme qu'il sera extrêmement ardu pour François Legault de garder la maîtrise de son poisson fringant d'ici la fin de la campagne.

La CAQ aurait finalement avantage à se rappeler qu'il peut être dangereux de mettre tous ses oeufs dans le même panier et que le gros poisson de François Legault pourrait bien finir par lui glisser entre les mains pour s'écraser au fond de la chaloupe, réduisant cette grande aventure à une banale histoire de pêche...