Toute société, mise face à l'horreur, cherchera des réponses auprès de personnes qui différeront selon les époques. Si les prêtres ont longtemps été les porteurs de sens dans nos sociétés, ils ont été remplacés par les experts qu'on s'empresse maintenant d'interroger lorsque l'inexplicable survient.

L'affaire Magnotta pourrait difficilement mieux suivre un tel schéma. Alors que ce dernier n'a pas encore ouvert la bouche pour mettre en paroles son crime et ses motivations, les diagnostics jaillissent de la bouche des experts avec une assurance inversement proportionnelle aux faits qu'ils ont sous la main.

Mais une société, confrontée soudainement au non-sens et à l'angoisse, ne s'arrête jamais là, particulièrement dans une province où les notions de fautes, d'expiation, de péchés, bien qu'absentes de l'espace public, n'en gardent pas moins leur force dans la dynamique sociologique.

Il n'était qu'une question de temps avant que l'on trouve l'agneau à sacrifier. Cet agneau, dans tous les cas de figure, c'est celui qu'on croit à même de nous sauver du non-sens et de la faute. C'est lui qui devra porter le péché, c'est sur lui que tous les citoyens, particulièrement ceux qui auront eux-mêmes visionné la vidéo, projetteront tous leurs propres vices.

Crucifions-le! Éviscérons-le! Que ce professeur ne puisse plus jamais approcher une salle de classe. Nommons-le! Assurons-nous que sa vie, sa carrière, soit terminée.

Oublions que l'horreur de Magnotta était disponible partout sur internet. Que fort probablement, le professeur, jugeant évidemment très mal l'impact, mais fort probablement bien intentionné, a dû penser bien faire en s'assurant qu'une telle horreur soit vue dans un contexte où une mise en perspective et le soutien de groupe  étaient mieux qu'un visionnement en solitaire.

Non, c'est maintenant lui le coupable! Et de rappeler les experts qui s'égosilleront sur la personnalité de ce professeur: est-ce un maniaque, un sadique, un pervers? Nous ne le savons point, mais quel plaisir de spéculer, de supputer, sur un individu dont on ne connaît absolument rien.

Même la ministre Michelle Courchesne, trop heureuse de se sortir le nez de l'étang des multiples scandales qui l'affligent et dont elle n'assume aucune responsabilité, qui se croit dans une position morale de critiquer le jugement de ce professeur.

Car une fois que son sang sera répandu sur la place publique, sans autre forme de procès, pourrons-nous retourner à nos affaires quotidiennes, assurés que nous sommes d'avoir, par son sacrifice, arraché l'horreur que Magnotta avait si violemment implantée en nous. Inconscients de la violence inouïe que nous avons nous-mêmes exprimée dans ce lynchage.