En visionnant la vidéo du démoniaque Luka Rocco Magnotta, nous ne valons pas mieux que ce bourreau. On offre une tribune incompréhensible à celui que l'on a surnommé le dépeceur de Montréal...

Si son crime, aux confins de l'horreur, demeure une énigme pour les gens sensés, la curiosité morbide découlant de cet acte ignoble l'est tout autant. Je lis des chroniques de journalistes, qui, sans doute pour donner plus d'épaisseur à leurs analyses et commentaires, sont allés cliquer sur le lien nauséabond. Je ne comprends pas.

Il suffirait simplement de recouper les sources et les témoignages pour rendre compte de cette sordide histoire. Il me semble que cela serait suffisant. Je ne compte plus les tribunes abreuvées d'encre noire et de sang qui fleurissent ici et là, comme si ce fait divers macabre n'avait pas suffisamment dérangé et choqué.

Profondément narcissique, le bourreau a dû se caresser sous sa couette, bien content d'être la star d'un scénario macabre qui se répand sur les murs du monde. Une fois de plus, on fait une belle publicité à un odieux personnage qui ne mérite pas cette «peopleisation» consternante. Le voilà adoubé par tous ces yeux injectés du sang des autres, dégoulinant par hectolitres sur les récifs informatiques.

Et dire qu'à l'heure où j'écris ces lignes, on peut visionner, avec une facilité déconcertante, la vidéo insoutenable, où, je le rappelle, le tueur assassine, démembre et outrage le corps de sa victime. Personnellement, je ne l'ai pas regardée, comme j'avais refusé de le faire il y a quelques années lorsqu'un otage américain se faisait décapiter vivant par ses ravisseurs... Je me souviens qu'un ancien collègue avait franchi le Rubicon, ce qu'il avait profondément regretté.

Je ne comprends pas cette curiosité malsaine qui pousse un internaute à visiter tous ces sites gore qui rivalisent de photos-chocs extrêmement méprisantes pour la dignité humaine.

En diffusant la vidéo de cet étudiant chinois mort dans d'atroces conditions, nous devenons les complices de celui qui lui a enlevé la vie. Nous prolongeons sa popularité immonde et mortuaire, nous décernons un César, un Oscar, ou je ne sais quelle autre récompense, à cette production sans morale, réalisée avec des moyens dérisoires, mais promise à un succès planétaire sur la grande Toile, laquelle, on le sait, a ouvert la porte à bien des déviances.

J'encourage fortement les gens à prendre leur distance avec cette irrépressible envie d'assouvir leur curiosité. Ne nous voilons pas la face: l'abject a beaucoup de charisme. Plus c'est horrible, plus c'est tentant.

Si vous hésitez encore, imprégnez-vous simplement de la souffrance des parents de la victime. Vous verrez, il n'y a pas meilleur remède. Non seulement ils doivent composer avec la mort ignoble de leur enfant, mais, comme si cela ne suffisait pas, on leur annonce que son corps meurtri et découpé fait les choux gras du web, qu'il est devenu un objet de fascination morbide, au point où certains internautes se laissent aller à des commentaires sur le rendu artistique de cette mise en scène choquante.

Chaque petit clic accompli sur les ordinateurs du monde entier est un coup de poignard supplémentaire dans le coeur des proches endeuillés. Il me semble qu'en gardant cette évidence à l'esprit, on devrait être en mesure de garder une distance salutaire avec cette mondialisation de l'abject.