Je lis des articles, des éditoriaux, des analyses, j'écoute et je regarde des reportages qui portent sur la crise étudiante devenue une crise sociale. «L'expression d'un ras-le-bol général», déclare-t-on. Oui, peut-être, sans doute. Mais le débat reste encore mal articulé, mal défini.

Une critique sévère à l'égard du gouvernement majoritaire de Charest est sous-jacente aux manifestations spontanées et tenaces de la rue, mais cette critique demeure un cri du coeur qui ne parvient pas encore à préciser ses principaux griefs. Et ce cri du coeur est pour plusieurs un cri de ralliement pour partager un sentiment collectif festif qui flirte avec le désordre et la désobéissance civile auxquels le tintamarre des casseroles confère un côté lyrique, pour ne pas dire romantique.

La hausse des droits de scolarité, et accessoirement la loi spéciale (78), sont les seuls griefs véritablement exprimés. Plusieurs autres alimentent la grogne, mais restent non dits ou à peine effleurés. À mon sens, cela traduit le profond sentiment individualiste dans lequel notre société évolue depuis des décennies.

Dans ce sens, la révolte des étudiants sur la question des droits de scolarité aura joué un rôle d'électrochoc auprès de la société, mais malgré les foules bigarrées et intergénérationnelles et les slogans porteurs de plusieurs causes, le combat sectoriel des étudiants demeure le moteur des manifestations. Aucune autre revendication sociale ou politique ne prend véritablement le relais et il est à prévoir que lorsque la crise étudiante sera réglée, chacun retournera bien sagement dans son confort individualiste.

L'occasion aura été belle pour plusieurs d'exprimer de beaux sentiments de sympathie envers la cause étudiante et de se défouler sur la corruption, la collusion, le copinage et les abus de pouvoir du gouvernement Charest, mais je doute fort que les signes d'un mouvement puissant contre les agissements d'un gouvernement qu'on aura dénoncé tout au cours de ces manifestations festives à saveur de désobéissance civile se poursuivent au-delà de la crise étudiante.

Au-delà du tintamarre de casseroles et des coups de gueule épars des chefs syndicaux en mal de visibilité, les discours mobilisateurs en faveur d'une société plus intègre, plus équitable, plus ouverte, plus juste, plus solidaire font dramatiquement défaut. Où sont nos intellectuels pour aider à décoder ce sursaut de la rue et surtout proposer les éléments d'une alternative? Les partis politiques n'ont rien de consistant à offrir.

Un tel vide interpelle habituellement les intellectuels qui profitent du contexte de ras-le-bol et de rejet de la classe politique pour imaginer et proposer les lignes fortes d'un projet rassembleur, voire d'un nouveau projet de société. Rien de tel sur les tribunes de la rue ni à l'horizon.

Peut-on espérer un revirement de situation au cours des prochaines semaines? Je n'y crois pas, mais j'aimerais que mon interprétation des événements soit erronée. Il faut admirer la clairvoyance et le courage des étudiants. Cette jeunesse est impatiente de véritables changements et s'affranchit enfin de la tutelle de la génération qui la précède... pour agir.