Ceux qui, successivement, ont occupé les fonctions de ministre de la Santé doivent placer leurs actions dans le cadre plus large de l'impact des inégalités sociales, des déterminants de la santé et du poids grandissant de défis tels que le cancer et les maladies chroniques. C'est sans surprise que nous avons alors constaté - et constatons toujours - que parmi les causes les plus importantes de maladies et de décès évitables dans notre société, on retrouve encore l'usage du tabac.

Le tabagisme provoque la mort prématurée de 10 400 Québécois chaque année, soit un décès sur cinq. Lutter contre le tabagisme s'avère une nécessité absolue pour tout gouvernement cherchant à protéger et à améliorer la santé de la population en agissant en amont, par la promotion de la santé et la prévention afin de réduire le «fardeau de la maladie» sur un système de santé sans cesse plus sollicité. C'est pourquoi, lors de nos mandats respectifs, nous avons fait de cet immense enjeu de santé publique une priorité.

Nous avons tous deux procédé à l'adoption de mesures d'envergure. La loi de 1998 a interdit l'usage du tabac dans les milieux de travail ainsi que la commandite d'événements culturels et sportifs qui associait aux marques de tabac le plein air, la mode et les arts. La loi de 2005 a étendu l'interdiction de fumer aux restaurants, aux bars et aux cours d'école en plus de faire disparaître les étalages proéminents de produits du tabac.

Ces mesures ont contribué à une baisse progressive du taux de tabagisme au Québec, qui est passé de 34,0% en 1994 à 22,5% en 2009. Cette remarquable baisse se traduit par un million de fumeurs en moins, un bilan exceptionnellement positif par rapport à l'investissement minime associé à ces réformes.

Mais ces gains sont fragiles et ne se consolident que sur une longue période de temps. C'est pourquoi nous avons inclus dans l'article 77 de la Loi sur le tabac une disposition qui oblige le ministre de la Santé à «faire rapport au gouvernement sur la mise en oeuvre de la présente loi» après cinq ans d'application, une obligation présentée lors de son introduction en 1998 et de sa reconduction en 2005 comme un mécanisme pour revoir la loi selon les constats des rapports de même que les nouveaux défis. Ce rapport a agi comme un tremplin pour le renforcement de la loi en 2005, mais son dépôt en 2010 n'a pas encore été suivi d'une réforme semblable.

Cette réforme est pourtant nécessaire pour faire face aux nouvelles stratégies de promotion, comme l'aromatisation aux saveurs de friandises et les emballages en forme de gadgets électroniques, qui permettent encore à l'industrie de recruter 30 000 nouveaux jeunes fumeurs par année. Pire, ces statistiques n'incluent pas l'usage du cigarillo, ce qui sous-estime le taux réel de tabagisme, surtout chez nos jeunes, trop souvent exposés aux effets de la fumée secondaire.

Alors que la Journée mondiale sans tabac est à nos portes, nous joignons nos voix pour lancer un vibrant appel à l'actuel ministre de la Santé, le Dr Yves Bolduc, ainsi qu'à tous les élus de l'Assemblée nationale, afin qu'ils redoublent leurs efforts pour lutter contre ce fléau, à l'aide de tous les outils législatifs à leur disposition.

Il est toujours délicat pour un gouvernement de légiférer dans le champ des habitudes et des choix individuels. Afin de réussir, ces actions législatives doivent s'appuyer sur un large consensus social et une corrélation bien démontrée entre l'application des lois et l'amélioration de la santé publique. Ce fut le cas, il y a longtemps, pour le port de la ceinture de sécurité et, plus récemment, dans les étapes législatives auxquelles nous avons tous deux été associés en cohérence et continuité. Nous croyons que notre société est prête à faire un pas de plus.