Il y a quelques années, la direction et le conseil d'administration d'Air Canada, voulant se relever d'une quasi-faillite, ont habilement concocté une stratégie de pure ingénierie financière et juridique. Devant le faible potentiel de croissance du secteur de l'aviation commerciale et des dettes gargantuesques, la seule façon d'enrichir rapidement les gros détenteurs d'actions était de littéralement dépecer l'entreprise en petits morceaux.

Les bons actifs ont servi à la création de nouvelles compagnies en pleine santé, et les passifs, dettes et régimes de retraite ont été refilés à Air Canada. Or, ces nouveaux joyaux ont été aussitôt vendus et un joli magot de plusieurs centaines de millions de dollars a été discrètement distribué aux actionnaires la semaine dernière sans tambour ni trompette alors que les médias n'ont d'intérêt que pour les carrés rouges.

Cette cagnotte aurait pu être réinvestie dans Air Canada, ce pauvre poulet sacrifié, pour le bénéfice des actionnaires mais aussi des autres parties prenantes.

Sous l'angle de la pure créativité financière et dans les cercles privés des vautours de la finance new-yorkaise et londonienne, ont aurait sûrement attribué une note de 9,5 sur 10 à cette opération. L'inspiration serait-elle venue d'Andrew Fastow, ancien directeur financier d'Enron ou encore de Conrad Black de Hollinger International ? Une opération fort similaire, l'illégalité en moins, mais l'éthique tout aussi discutable.

Cet exemple est à contre-courant de notre temps et de nos aspirations collectives. Pour éviter de pareilles situations, la Cour suprême a récemment énoncé dans l'arrêt BCE que le meilleur intérêt d'une organisation ne devait plus être synonyme de celui des actionnaires, comme le veulent les rois de la finance. Désormais et légalement, les administrateurs devront tenir compte dans leurs décisions, des intérêts des créanciers, employés et des autres parties prenantes qui font partie de l'organisation. Force est de constater que dans ce tour de passe-passe, seuls les actionnaires et quelques dirigeants sont passés à la caisse.

Pire, la confiance semble s'être évanouie chez et à l'égard d'Air Canada. Une autoroute vers l'échec semble malheureusement se dessiner une nouvelle fois. Qui voudra investir dans une entreprise peu performante, avec plus de retraités que d'employés et avec très peu de flexibilité financière pour faire face à une prochaine crise ? Après les épisodes AVEOS, ACE, les manquements à la langue française et les primes pharaoniques aux principaux ingénieurs de cette stratégie, croyez-vous que les employés, les clients et le grand public auront encore confiance en Air Canada ?

Advenant une nouvelle crise aérienne, terroriste ou financière, voudrez-vous encore que vos impôts servent à sauver Air Canada ? Pourtant, pensez un instant aux milliers d'employés et retraités qui perdront sur toute la ligne.

Si jamais les gouvernements décidaient une énième fois de sauver Air Canada, il faudra changer les règles du jeu et s'assurer que les dirigeants et administrateurs ne soient pas tous des «ACE» de l'ingénierie financière, mais plutôt des gestionnaires prudents, crédibles et éthiques.

Il faudra peut-être remettre en question la présence d'Air Canada sur une bourse officielle pour éviter l'ambition démesurée de certains actionnaires qui ne visent qu'un rendement à court terme.