Que reproche-t-on à Arcand en réalité? Son refus de flatter le genre humain et son peu d'empressement à relayer dans ses films l'image idéalisée que le consensus médiatique et intellectuel se fait du Québec moderne. Les lyriques aiment bien traiter de cyniques ceux qui portent le couteau un peu trop loin dans la plaie et qui rechignent à ménager l'ego national.

Que ce soit pour le disqualifier ou pour le cantonner dans un rôle de provocateur, l'emploi du terme «cynique» à propos d'Arcand ne résulte pas d'une compréhension profonde de son oeuvre, mais plutôt d'un sentiment de dépit - exprimé sur le ton de l'amusement ou de l'exaspération, c'est selon.

Voilà qui est dommage. Car l'ironie veut qu'Arcand soit bel et bien un cynique, mais pas au sens où l'entendent ses critiques.

La vision que se fait Arcand du Québec est tragique, mais curieusement dénuée d'amertume (Arcand est un iconoclaste gentilhomme, on ne l'imagine pas en colère). À quoi bon se révolter contre l'inéluctable, en effet? La fameuse ironie d'Arcand que l'on perçoit dans ses textes et ses films ne dénote pas un biais pamphlétaire, comme tendent à le croire plusieurs de ses détracteurs, mais découle au contraire d'une intellectualité mélancolique intimement liée à la condition historique des Québécois en Amérique.

Arcand, en parlant de démographie, d'empire américain et d'oubliettes de l'histoire, contemple le destin des peuples à la manière d'un historien des civilisations et reste étranger au point de vue optimiste des militants et des sociologues modernes, qui croient, eux, en la puissance transformatrice de l'action politique par-delà tout déterminisme historique.

Certes, admet-il, les Québécois ont fait des progrès sur le plan social et économique, mais ce sont pour l'essentiel des nains politiques à la remorque de puissances extérieures. Ces amputés de guerre sont locataires depuis la conquête; ils ont amélioré leur sort, et de beaucoup; mais ne surmonteront-ils jamais leur blessure originelle? Même avec leurs écrans plasma, leurs deux voitures par famille et un niveau de scolarité en hausse, les Québécois sont condamnés à n'être que des handicapés culturels, plus ou moins au fait de leur condition, qui n'auront toujours qu'une vague idée de ce que peut être la vie dans une culture achevée et souveraine. Un «manque de réelle envergure», dit Arcand, qui naît de la «simple constatation qu'il y a des sociétés trop petites démographiquement, trop pauvres économiquement et trop faibles politiquement pour atteindre la masse critique (comme disent les physiciens) nécessaire à un épanouissement».

C'est tout le sens du conflit entre Arcand et l'establishment culturel québécois, conflit qui remonte à la Révolution tranquille. Pour l'élite qui se met en place à l'époque, dont certains des membres occupent encore aujourd'hui des postes stratégiques dans les médias et les universités, l'histoire commence en 1960. Conception à courte vue (et lyrique) qui présume une confiance démesurée dans la force du présent et qui ne pouvait que se heurter au regard en surplomb, désenchanté, d'Arcand. L'histoire soumise en permanence aux nécessités de l'émancipation conduit à se détourner du passé et à en ignorer les réalités de fond, brouillant du même coup la compréhension que l'on peut avoir de la situation globale d'une société.



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