Voilà cinq ans qu'a eu lieu l'accident mortel du viaduc de la Concorde, et je me suis interrogé publiquement en ces pages pendant trois ans, à titre de président de l'Ordre des ingénieurs du Québec, sur la possibilité d'une récidive. Dimanche dernier, un accident somme toute assez semblable à celui de la Concorde, heureusement sans pertes de vie, vient relancer tout le débat. Je constatais des progrès en 2008 par rapport à 2005, mais j'indiquais aussi des pistes d'amélioration. Où en sommes-nous maintenant?

L'une de ces pistes consistait à obliger les entrepreneurs à recourir à des ingénieurs pour surveiller les chantiers de construction. Ce n'était pas le cas lors des travaux de la Concorde, il y a longtemps, et la commission Johnson n'a pas trouvé le surveillant technique de ces travaux, s'il y en avait un. Il y a trois ans, la situation n'avait pas changé sur le plan légal. Et aujourd'hui, pas davantage. La loi permet actuellement à n'importe qui de surveiller des travaux sur un chantier. Je ne dis pas que c'est ce qui se passe partout, mais où est la logique? Les travaux les mieux conçus peuvent être bousillés pendant la construction s'ils ne sont pas inspectés et surveillés adéquatement.

Et, bien pire, des groupes de pression font des pieds et des mains pour diluer le champ de pratique réservé par la loi aux ingénieurs. Plutôt que d'améliorer la situation, ces révisions de la loi, si elles étaient adoptées, contribueraient à l'empirer. Ces groupes n'ont pas la préoccupation de la sécurité du public bien haut dans leurs priorités et, comble d'ironie, ont l'oreille de certaines autorités.

Enfin, il y a encore des incohérences entre le discours de certains politiciens et leurs gestes. Nous applaudissons le ministre Sam Hamad quand il crie haut et fort que les livres du ministère des Transports sont grand ouverts pour quiconque veut les consulter. Le problème c'est que personne au Québec, ni firme ni expert, qui a déjà eu ou qui est susceptible d'obtenir un contrat avec le Ministère, n'ose donner un avis ou critiquer des rapports, de crainte de se mettre en mauvais termes avec le gouvernement et de ne plus obtenir de contrats avec le Ministère. Ces gens ou organismes savent de quel côté leur pain est beurré.

Dans ces conditions, afin de rassurer les citoyens, il est essentiel que le gouvernement et tous les propriétaires d'infrastructures rendent publics tous les rapports décrivant l'état des ouvrages et infrastructures.

J'avais déjà proposé la constitution d'un organisme indépendant avec un mandat large et capable d'assurer la protection du public à toutes les étapes de la vie d'un ouvrage, de sa conception à sa réfection. Il importe de favoriser le développement et l'harmonisation des règles d'art en matière de conception, de construction, de coordination des travaux et d'entretien des infrastructures.

Il faut faire rapport aux autorités et à la population de l'état général de la gestion des infrastructures au Québec et faire des recommandations appropriées.

Toutes ces responsabilités doivent être assumées par un organisme unique, central et fort. Il bénéficiera ainsi de l'expérience et des connaissances accumulées par l'ensemble des gestionnaires d'infrastructures publiques du Québec.

Le gouvernement dépense des milliards en construction d'infrastructures de remplacement, créant une manne pour les entreprises du domaine de la construction, sans ajuster la Loi sur les ingénieurs, exposant ces travaux aux mêmes problèmes que les infrastructures qu'elles remplacent. Pourquoi ne pas modifier cette loi? Voulons-nous vraiment protéger le public? J'ose croire que la réponse est affirmative.

Pourquoi faut-il toujours attendre des drames pour agir? Parions que le gouvernement va nous refaire le coup d'une commission d'enquête. Il va aboutir aux mêmes conclusions que Pierre Marc Johnson, avec la même inertie du côté gouvernemental. Et, dans cinq ans, après un autre accident, on va ressortir la même vieille chanson. Peut-être alors fera-t-on quelque chose d'utile.