Que faire lorsqu'un des membres du couple désire se marier, et l'autre non? «Marions-les un petit peu. Ça va les aider à développer une solidarité financière.» C'est un peu ce que nous a dit l'avocate de Lola, Me Anne-France Goldwater, à la radio. Je conviens que cela caricature un peu le jugement de la Cour d'appel, mais ce n'est pas loin de ce qu'il faut en comprendre.

La Cour d'appel reconnaît une obligation de «solidarité financière» entre conjoints de fait. C'est une idée noble, et ma foi très inspirante. Moi, c'est le mot «obligation» qui me fait sourciller.

Comme beaucoup, j'avais cru, jusqu'à maintenant, que les couples pouvaient avoir le choix contracter une obligation de «solidarité financière» l'un vis-à-vis de l'autre en s'unissant à l'intérieur ou à l'extérieur d'un contrat de mariage. Le tribunal nous informe que ce cette option n'en est plus une et que la solidarité financière est une obligation (morale?) entre partenaires. C'est un peu fort comme intrusion dans la sphère privée.

Ce jugement ne vient en rien modifier la pertinence à verser des pensions alimentaires pour enfants, qui jouit d'un très large consensus social. Cependant, au Québec, les pensions alimentaires aux enfants seraient très inférieures à celles versées aux enfants des autres provinces, nous apprend l'avocate de Lola.

Sont-elles insuffisantes ici? Si c'est le cas, il est impératif de les réviser. Mais j'ose croire que Me Goldwater ne vise pas à compenser leur insuffisance en attribuant un versement de pension alimentaire à l'un des parents. Ça serait en altérer la fonction et induire une perception erronée de son usage dans la tête du bénéficiaire.

On soutient beaucoup que les femmes se retrouvent souvent dans une précarité économique, avant et après une union conjugale de n'importe quel type. Suis-je seule à y voir d'abord et avant tout un problème d'équité salariale? Les métiers traditionnellement féminins continuent d'être sous-payés comparativement à leurs équivalents masculins. Il serait utile que les tribunaux s'y penchent davantage s'ils désirent vraiment résoudre le problème de précarité économique féminine.

Mais ce qui est le plus regrettable à propos du jugement, c'est qu'il «impose» une morale de solidarité financière aux couples en union libre. Je regrette que le jugement vise aussi les couples sans enfants. Je m'étonne de voir la législation interférer dans la morale personnelle des individus habituellement associée à des religions. Cette obligation à la solidarité me semble injustifiée puisque le couple dispose actuellement d'un choix lui permettant de se prémunir de cet engagement solidaire: s'unir à l'intérieur d'un contrat de mariage.

Il existait, jusqu'à cette semaine, des options qui permettaient aux individus de choisir dans quel type d'engagement moral ils désiraient se rencontrer. Évidemment, il fallait que les deux parties s'entendent sur l'un d'eux et c'était bien là le problème de Lola.

Qu'aurait-on dû conseiller à cette pauvre Lola, qui se retrouvait dans l'impossibilité de convaincre Éric de l'épouser? Je ne sais pas. Vouloir ironiser, je dirais qu'on aurait peut-être dû l'informer de la liste des pays qui encouragent la pratique des mariages forcés? Amnistie Internationale détient des listes à jour de tous ces pays. Est-ce un hasard que ce sont souvent les mêmes pays qui ont tendance à donner un petit coup de pouce aux individus pour les aider à développer leur moralité? À renfort de burqas, de tordage de bras et de «coupage» de mains? Ça rend plus honnête, paraît-il. Alors qu'ici, on ne nous force qu'à développer une moralité de solidarité financière! Faut pas charrier.