Lorsqu'on fait le tour de la Gaspésie, de majestueux parcs éoliens découpent le paysage à quelques reprises. Si certains trouvent que ces éoliennes détonnent, c'est qu'ils ne regardent pas de l'autre côté de la baie des Chaleurs, au Nouveau-Brunswick: deux longues cheminées crachent constamment de la fumée à Dalhousie et Belledune. De tristes héritages du passé, bien actifs cependant. Ce sont des centrales de production d'électricité au pétrole lourd du Venezuela et au charbon.

Le Nouveau-Brunswick produit en effet 40% de son électricité avec des centrales thermiques. Un autre 25% provient d'une centrale nucléaire dont la mise à niveau souffre de dépassements de coûts, et le reste de centrales hydroélectriques ou d'importations, essentiellement du Québec. Il va sans dire que ce système coûte très cher à opérer, et les consommateurs d'électricité paient presque deux fois plus cher qu'au Québec.

Il est parfaitement absurde, d'un point de vue économique et environnemental, d'avoir côte à côte deux réseaux électriques gérés de manière complètement indépendante, avec simplement des échanges ponctuels, lorsque la situation à court terme le justifie. Cela explique en grande partie pourquoi Hydro-Québec reprend certains actifs d'Énergie NB (l'équivalent d'Hydro au Nouveau-Brunswick): ses centrales les plus propres et ses réseaux de transmission et de distribution. Grâce à son nouveau parc de production intégré, Hydro sera en effet en mesure de fournir de l'électricité à bien moindre coût qu'Énergie NB pouvait le faire avec ses centrales thermiques. Le Nouveau-Brunswick en sortira aussi gagnant, puisque sa dépendance au charbon et au pétrole sera grandement réduite.

De plus, pour Hydro-Québec, en plus de vendre à meilleur prix son électricité, les lignes de transmission vers la Nouvelle-Angleterre lui offrent une nouvelle porte d'entrée sur le marché américain.

C'est la force de ces arguments économiques et environnementaux qui pousse une telle transaction, malgré l'atteinte à la fierté provinciale que cette perte de contrôle d'Énergie NB représente.

Par ailleurs, la colère de Terre-Neuve-et-Labrador vient compliquer un peu les choses, mais surtout souligner le caractère dysfonctionnel du secteur électrique canadien. Cette province cherche activement une manière de «sortir» 3000 MW supplémentaires d'hydroélectricité du Bas-Churchill. Le chemin naturel serait à travers le Québec, mais Hydro-Québec collabore peu avec cet éventuel concurrent, parce qu'évidemment, ce n'est pas dans ses intérêts d'acheminer l'hydroélectricité des autres.

Une seconde avenue pour atteindre le lucratif marché américain est de passer par Terre-Neuve, puis sous la mer jusqu'au Nouveau-Brunswick, afin de rejoindre les États-Unis par le Maine. Cette approche aurait aussi permis d'approvisionner les autres provinces atlantiques en hydroélectricité. Danny Williams, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, aurait ainsi contourné le Québec et contribué à une alliance atlantique de l'énergie. Malheureusement, comme Hydro contrôlera dorénavant le réseau électrique du Nouveau-Brunswick, un acteur clé sort de cette alliance. Le «problème» québécois resurgit pour les Terre-Neuviens et Labradoriens, et vient porter un coup dur au projet du Bas-Churchill.

Malgré tout, la problématique de l'accès au réseau de transmission devrait pouvoir se résoudre, à moyen terme, par une meilleure garantie de son ouverture par les organismes réglementaires, telle que la Régie de l'énergie. Hydro-Québec devra à cet égard certainement se montrer plus amicale à l'avenir avec ses voisins, pour ne pas envenimer les relations interprovinciales et éviter, peut-être, de voir l'agence de réglementation américaine s'en mêler pour comportement anti-compétitif.

L'entente entre Hydro-Québec et Énergie NB est donc toute naturelle sur le plan économique, énergétique et environnemental. Elle profitera aux deux partenaires. Par contre, sur le plan politique, elle est inédite et controversée. Elle vient souligner qu'une plus grande intégration des marchés de l'électricité, bien que rentable, est un défi politique qui pourrait dégénérer. Espérons qu'au contraire, elle ouvre la voie à une plus grande réorganisation et harmonisation du secteur, même si cela pourrait entraîner des changements pour les consommateurs québécois, dont les privilèges tarifaires seront rendus encore plus visibles par cette intégration avec le Nouveau-Brunswick.

Pierre-Olivier Pineau

L'auteur est spécialiste en politiques énergétiques et professeur agrégé à HEC Montréal.