Que pensez-vous des usagers du métro ? Je vous entends déjà : les gens sont désagréables, indifférents, impolis ou, pis encore, ils ne sont pas civilisés. Bref, ils ne savent pas vivre ! Et si vous vous trompiez ? Au-delà des apparences, les comportements des usagers, lorsque soumis à l'observation sociologique, sont plutôt surprenants. Les bons Samaritains sont plus nombreux qu'on le croit.

Chaque trimestre, dans mon cours d'introduction à la sociologie au cégep de Saint-Laurent, j'initie mes élèves à une méthode en sociologie, soit l'observation directe participante. Cette méthode a été mise au point en 1920 par l'école de Chicago. Elle vise la compréhension et l'analyse des relations entre les individus dans les milieux urbains. L'observation participante, dans le cas qui m'intéresse, vise donc à recueillir des données de nature descriptive, tout en faisant participer les élèves à la vie quotidienne d'un univers en particulier.

 

Dans le métro, les élèves testent la confiance, la politesse, le respect, les éléments de distance sociale, la rupture des attentes. Ils vont par exemple briser la bulle personnelle des individus et noter leurs réactions (mots ou gestes). Comment ? En créant des scénarios, de leur choix, dans lesquels ils sont les acteurs. Une élève joue la femme « enceinte « qui échappe ses papiers, un autre entre en conversation avec les usagers. Un élève ouvre son parapluie sur le quai, tandis qu'un autre demande à son voisin de le réveiller à telle station et feint de s'endormir sur son épaule. Un tel demande la direction vers une station qui n'existe pas, etc.

Les résultats de cette microsociologie, avec tous les partis pris qu'ils comportent, sont néanmoins surprenants et vont à l'encontre du sens commun. De façon générale, les individus dans le métro sont courtois, dévoués et même prêts à entrer en conversation avec de jeunes étrangers, pourvu qu'on ne les insulte pas... cela est évident ! Une dame (assez âgée) a déjà, par exemple, alerté tout un wagon parce qu'un élève ne s'éveillait pas à la station indiquée ! Des individus ont déjà signé une pétition, sans prendre connaissance du contenu, qui visait à bâtir une résidence secondaire pour la reine Élisabeth II sur le mont Royal.

Un constat s'avère aussi prégnant : l'arrivée en masse des appareils de type « iPod « a révolutionné le monde des interactions dans les transports en commun. Lorsqu'un individu est dans son propre univers, concentré dans l'écoute de sa musique, il manifeste de façon plus ferme que celui qui lit une forme d'indifférence aux autres. Derrière ce comportement, l'individu branché sur ses écouteurs donne sans doute l'impression de « ne pas communiquer «, mais il manifeste quand même une forme de communication, soit : « Je communique le fait que je ne veux pas communiquer ! «

Pourquoi cette indifférence dans un lieu commun ? Parce qu'elle est hautement fonctionnelle au plan social. La société moderne est marquée par l'augmentation du nombre de relations impersonnelles et par l'augmentation de l'intensité des relations personnelles. Le métro est aussi plus « dense « qu'à ses débuts. L'indifférence permet donc de protéger l'individu contre les intrusions d'autrui, sans distinction culturelle. Le « moi « se créer une bulle qui se veut cuirasse. Le « iPod « est une armure moderne !

Cela dit, la prochaine fois que vous utiliserez le métro et que vous côtoyez de jeunes gens étranges, dites-vous que vous êtes peut-être en observation !





L'auteur est professeur de sociologie au Cégep de Saint-Laurent et doctorant en sociologie à l'Université du Québec à Montréal.