Faut-il ou non négocier avec les talibans afin de mettre fin à la guerre en Afghanistan? Après avoir longtemps refusé tout dialogue, les Occidentaux semblent maintenant prêts à tendre la main. Les talibans, eux, se divisent. C'est le début d'une ouverture vers une solution.

Il y a encore quelques mois, la plupart des leaders occidentaux dont les pays sont engagés dans la guerre en Afghanistan refusaient de négocier avec les talibans. Au contraire. Chaque question dans ce sens provoquait une réponse sans équivoque : on ne négocie pas avec des tueurs d'enfants et de femmes. Le président Hamid Karzaï était invité à tenir bon au point où un membre de son entourage m'a raconté que le leader afghan remplaçait le mot taliban par terroriste sur chaque document qu'il lisait. Mais on ne gomme pas la réalité en jouant avec les mots.

Jeudi dernier, le New York Times a publié un rapport des services secrets américains indiquant que le pays est plongé dans une spirale négative et qu'il est peu probable que son gouvernement soit en mesure de contrer la résurgence des talibans. Cette situation change la donne politique et fait éclater au grand jour les dissensions occidentales au sujet de la stratégie à suivre en Afghanistan. En effet, l'option militaire essentiellement préconisée et menée par les États-Unis pour venir à bout des talibans n'a jamais fait l'unanimité au sein des membres de la coalition internationale. Les Britanniques l'ont toujours critiquée et c'est un général britannique qui a crevé l'abcès il y a dix jours lorsqu'il a déclaré que l'OTAN n'allait pas gagner cette guerre. Le représentant de l'ONU sur place en a rajouté. « Si notre perspective est seulement une perspective militaire, alors c'est une mauvaise perspective, a dit Kai Eide. J'ai toujours dit à ceux qui parlaient de renforcement militaire que ce dont nous avions besoin par-dessus tout c'est d'un coup de pouce politique, de plus d'énergie politique. Nous savons tous que nous ne pouvons pas gagner militairement.»

Ouverture de négociations

L'option militaire a donc épuisé sa course. La coalition internationale doit maintenant adopter une autre stratégie fondée sur l'ouverture de négociations avec les éléments talibans désireux de discuter. À première vue, la chose semble facile. Pourtant, deux obstacles se dressent sur ce chemin. Le premier concerne les États-Unis. Il faut les convaincre du bien-fondé de la démarche et ce ne sera pas facile. Les Américains dominent la coalition et en assurent la sécurité. Ils sont convaincus qu'avec des renforts la coalition viendra à bout des insurgés. C'est un pari auquel leurs alliés ne croient pas mais qu'ils ne peuvent, pour l'instant, infléchir. « Nous ne sommes pas les seuls à décider en Afghanistan », a rappelé la semaine dernière Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères.

Le deuxième obstacle concerne les talibans. Avec qui négocier? Le président Karzai a lancé un appel à leur chef, le mollah Omar, dont les rapports avec al-Qaeda restent ambigus. Les Britanniques, le représentant de l'ONU et même le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, sont disposés à s'asseoir autour d'une table avec des « gens qui sont réconciliables » afin de les séparer des irréconciliables. Les talibans décodent cette stratégie et affichent une unité de façade : ils ne « négocieront jamais avec les envahisseurs ». Mais, cette déclaration, publique, cache une autre réalité. Le mouvement taliban est divisé et des contacts ont été noués avec les Saoudiens, les Iraniens et certains membres de l'entourage du président afghan.

La négociation doit reprendre le dessus en Afghanistan afin de convaincre suffisamment de talibans de se détacher des radicaux et de rejoindre le processus politique. Le succès de cette stratégie n'est pas nécessairement assuré. Le feu est pris au Pakistan voisin là où al-Qaeda et les talibans locaux déstabilisent l'État et planifient leurs attaques contre l'Afghanistan. Mais que faire d'autre lorsque les bombes ont échoué?

L'auteur (j.coulon@cerium.ca) est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations

de paix, affilié au CÉRIUM. Il revient d'un séjour à Kaboul grâce à un financement de l'OTAN.