Le dimanche 25 juin, 10 h. Encore cette lumière orange qui éclaire ma cour arrière typiquement montréalaise, et cette odeur qui me rappelle les feux de camp que l’on fait l’été, avec des amis, durant une belle fin de semaine de camping. Sauf que l’odeur de feu de camp aujourd’hui, elle me noue le ventre. Le feu de camp, c’est le Québec.

Aujourd’hui encore, c’est le Québec qui brûle, de la Côte-Nord à la Mauricie, en passant par l’Abitibi et le Saguenay. Ce sont les flammes qui consument des hectares de bois et qui n’épargnent rien sur leur passage. Ni cette faune⁠1 que j’aime tant observer quand je pars camper ni les communautés qui doivent évacuer leur foyer laissant tout derrière elles, et que j’imagine le cœur lourd et le dos courbé par l’incertitude des jours à venir.

Et alors que je peux vivre relativement tranquillement mon écoanxiété dans le confort de mon appartement, en fermant les fenêtres et en comparant en ligne le prix des purificateurs d’air sur un fond de musique classique « ambiance fin du monde chill », je pense à toutes ces personnes pour qui la solution ne peut se résumer à simplement fermer les fenêtres. Je pense aux changements climatiques, au manque d’action des personnes qui détiennent du pouvoir et à ce que l’on peut faire, collectivement, pour transformer son écoanxiété en actions qui auront un impact.

« Météo qui ne collabore pas », mentionne un sous-titre d’article. Peut-on aussi s’occuper de l’éléphant au milieu de la pièce ?

Cette fumée est un miroir duquel on ne peut détourner le regard et qui nous oblige à regarder la réalité en face : « Humain qui ne collabore pas », aurait été un sous-titre tout aussi légitime. Et par humain, je montre précisément du doigt les personnes responsables des grandes orientations politiques, économiques ou sociales de ce pays. Je pense à Justin Trudeau et au gouvernement fédéral, qui continuent de soutenir lourdement les combustibles fossiles, principal moteur des changements climatiques selon les scientifiques et autres experts. Ou encore au gouvernement de François Legault, qui n’est pas enclin à organiser un BAPE pour tenir un vrai débat sur l’avenir énergétique du Québec.

Je pense aussi à Dave McKay, PDG de RBC, la banque qui a financé le plus les énergies fossiles mondialement en 2022. On pourrait aussi nommer la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui est encore actionnaire de projets controversés de combustibles fossiles, tels que le gazoduc Coastal GasLink. L’équation au cœur de la crise climatique est la suivante : énergies fossiles = changements climatiques et non-respect des droits des peuples autochtones = augmentation et aggravation⁠2 des évènements climatiques extrêmes (tels que les incendies de forêt ou les inondations).

Bien calfeutrée dans mon appartement rendu trop chaud, je m’inquiète aussi des impacts de cette crise sur la santé. Bien que les incendies de forêt et la fumée représentent un risque pour la santé de la population dans son ensemble, ils ont un impact disproportionné sur les communautés autochtones et rurales, sur les personnes noires et racisées, LGBTQIA2S+, ou marginalisées.

Alors oui, faisant généralement partie des mieux nantis, je n’ai pas à me plaindre, c’est vrai. Est-ce que pour autant nous allons accepter la situation ? Vivre terrés chez nous en attendant qu’après la pluie vienne l’éclaircie – littéralement – jusqu’au prochain évènement climatique extrême ?

À vous qui regardez avec effroi les dernières nouvelles sur les feux, que l’épais brouillard orange inquiète, qui vous identifiez comme écoanxieux ou qui êtes « juste en train de magasiner quelques masques N95, au cas où »… nous pouvons faire quelque chose.

Passer à l’action, ça fait du bien. Et parfois même, ça change les choses. L’année passée, une activité festive devant l’assemblée générale annuelle de la Banque Scotia a contribué à la fin du partenariat entre la banque et le plus puissant lobby d’énergies fossiles au Canada. En décembre, la mobilisation de personnes venues du monde entier pour la COP15 à Montréal a mené à l’accord de Kunming-Montréal, dressant la table pour une réelle protection de la nature et pour la reconnaissance du rôle des territoires autochtones et traditionnels dans la réalisation de cet objectif.

L’éclaircie, la vraie, elle viendra parce que nous l’aurons engendrée, réclamée collectivement. Ensemble, nous pouvons exiger des personnes qui détiennent un certain pouvoir, au sein par exemple des gouvernements ou des banques, qu’elles cessent de financer les énergies fossiles et investissent plus largement dans des solutions énergétiques durables et pilotées par les communautés.

Les solutions pour lutter contre les changements climatiques et mettre en œuvre des mesures adéquates d’atténuation et d’adaptation pour les communautés confrontées à ces incendies existent. Que ce soit dans la nature, dans les savoirs et les modes de gouvernance autochtones, ou dans les connaissances générées par la société civile et scientifique, les solutions sont là et n’attendent qu’à être financées et mises en place. Il est plus que temps pour les gouvernements fédéral et provincial de se regarder dans ce miroir de fumée et de passer à l’acte pour protéger la biodiversité, le climat et les communautés.

1. Lisez l’article de Judith Lachapelle : « Faune en déroute » 2. Lisez l’article (en anglais) de BBC News Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion