À tire-d’aile, au galop, en plongeant dans l’eau ou en s’enfonçant dans un terrier, la faune boréale fuit comme elle le peut les flammes lorsqu’elles s’approchent de son habitat naturel.

Orignaux et cerfs de Virginie

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Une femelle orignal dans un lac des monts Chic-Chocs, en Gaspésie

« La capacité d’échapper aux feux dépend vraiment de la capacité de l’animal de se déplacer », résume Yan Boucher, professeur d’écologie forestière à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et directeur de l’Observatoire de recherche de la forêt boréale. Les grands cervidés, comme les orignaux et les cerfs de Virginie, sont avantagés parce qu’ils peuvent rapidement s’éloigner des brasiers. « Sauf qu’à cette période de l’année, c’est un peu plus difficile parce que c’est la période de mise bas, ce qui peut compliquer les déplacements des femelles et de leurs petits », note Steeve Côté, professeur au département de biologie à l’Université Laval. Les cervidés se retrouveront ainsi dans des zones où d’autres congénères ont déjà établi leur territoire. Certains reviendront plus tard sur les lieux de l’incendie pour voir s’ils peuvent y trouver leur nourriture. D’autres finiront par s’installer ailleurs. À noter que les cerfs sont actuellement moins touchés que les orignaux par les incendies actuels parce que ceux-ci font rage au nord de la zone qu’ils occupent.

Caribou forestier

PHOTO FOURNIE PAR ÉRIC DESCHAMPS

Le caribou est une espèce à protéger et son habitat se réduit grandement.

Son habitat se réduit déjà comme peau de chagrin, et l’espèce est en péril. Faut-il s’inquiéter des populations de caribous forestiers dans le contexte des incendies de forêt ? Contrairement aux caribous migrateurs, les caribous forestiers ne se déplacent pas en troupeau, rappellent les biologistes. « Il y aura peut-être de la mortalité en raison des feux, mais il faut aussi tenir compte de la destruction de leur habitat », note Yan Boucher. Les caribous forestiers vivent dans des massifs de forêts anciennes de conifères et apprécient le lichen. « Après l’incendie, ils ne peuvent pas revenir avant un bout de temps dans les secteurs où le feu est passé parce qu’il n’y aura rien à manger pour eux », dit M. Boucher.

Oiseaux

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Une gélinotte huppée

Ils peuvent s’enfuir rapidement en battant des ailes, mais les oiseaux qui s’éloignent des flammes le feront… en abandonnant un nid derrière eux. « Ça aura des impacts sur la reproduction des oiseaux, c’est certain », affirme Steeve Côté. D’autres espèces d’oiseaux, comme le tétras ou la gélinotte huppée (perdrix), « n’ont pas de grandes capacités de vol », dit M. Côté. Plusieurs espèces de canards nichent dans ces régions. « Souvent, ce sont des espèces qui font juste une couvée par année », souligne-t-il. Pour les plus petits oiseaux forestiers, comme les parulines et les bruants, ils pourront se rattraper à la seconde couvée.

Petits et moyens mammifères

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Tous les petits et moyens mammifères ne sont pas égaux devant les incendies de forêt.

Renards, loups, lynx peuvent s’éloigner relativement rapidement de l’incendie. Mais le sort du lièvre d’Amérique, « qui est une espèce clé de la forêt boréale parce qu’elle sert de nourriture à beaucoup de prédateurs », rappelle Yan Boucher, est préoccupant. Même chose pour les petits rongeurs. « Les souris, les campagnols ont des distances de déplacement assez courtes, dit Steeve Côté. Quand le feu progresse à 35 mètres par minute, c’est très rapide pour une souris… » Le castor semble détenir un avantage sur les autres en pouvant se réfugier dans l’eau. Tant mieux, note Steeve Côté, parce que ses capacités de déplacement sur la terre ferme ne sont pas décoiffantes… « Ils peuvent se réfugier dans l’eau, mais une fois que ça a brûlé, ils auront quand même besoin de ressources et seront obligés de changer d’habitat », rappelle Steeve Côté.

Insectes

PHOTO MINISTÈRE DES FORÊTS, DE LA FAUNE ET DES PARCS

Un longicorne noir

Le comportement de la faune de la forêt boréale lors d’un incendie a peu été étudié jusqu’ici, dit Yan Boucher. « C’est assez difficile de comparer des communautés d’espèces avant le feu et de voir comment les individus vont se disperser après un incendie de forêt », dit-il. Quelques colliers émetteurs GPS ont été accrochés sur des loups, des ours, des caribous ou des orignaux. « Peut-être qu’il y a des études qui pourront être faites là-dessus, mais pour l’instant, on ne sait pas vraiment comment se comporte la faune après un incendie. » Les populations d’insectes, en tout cas, trouveront toujours le moyen de revenir sur les lieux du brasier. Quand les forestiers reviendront évaluer les dégâts, les longicornes noirs seront déjà au travail pour grignoter ce qu’il restera de bois, dit Yan Boucher. « Et le vacarme qu’ils font… moi, ça me rend fou ! »