Le gouvernement Legault change de cap et n’annoncera qu’un « projet » de stratégie de rétablissement du caribou, vers la mi-juin, dénoncent les Innus d’Essipit et de Mashteuiatsh, qui critiquent durement à leur tour le plan de Québec.

Ce qu’il faut savoir

Québec déposera vers la mi-juin un « projet » de stratégie de rétablissement du caribou, plutôt qu’une stratégie finale applicable immédiatement.

Une organisation écologiste réclame l’intervention du premier ministre pour éviter les coupes dans les secteurs sensibles d’ici au dépôt de la stratégie finale.

Les communautés innues d’Essipit et de Mashteuiatsh qualifient le plan de Québec de « stratégie d’extinction » du caribou.

Les deux communautés autochtones disent avoir appris avec étonnement, quand l’ébauche de stratégie gouvernementale leur a été présentée, que Québec renonce dans l’immédiat à déposer une stratégie finale, applicable immédiatement.

« En plus de ne pas être élaborée en consultation avec les peuples autochtones, la stratégie se limitera à n’être encore qu’un projet », qui fera l’objet de consultations et pourra être modifié avant de se traduire éventuellement en mesures concrètes, déplorent-elles.

Le gouvernement Legault s’était pourtant engagé « à publier sa stratégie finale sur le caribou forestier et montagnard [d’ici] la fin du mois de juin 2023 », avait-il écrit dans un communiqué commun avec le gouvernement fédéral, publié le 22 août 2022.

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« Idéalement, il aurait fallu que la stratégie finale soit déposée en juin, mais le faire sans adéquatement consulter les parties prenantes, je pense que c’est un pire scénario », nuance le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec).

Le risque est toutefois grand que ce retard permette la poursuite de l’exploitation forestière dans des secteurs sensibles pour le caribou, reconnaît-il.

« C’est là où le premier ministre François Legault doit se lever debout et rappeler à l’ordre la fonction publique, [qui] résiste à la collaboration avec le gouvernement », dit-il, évoquant l’obstruction de certains sous-ministres du ministère des Ressources naturelles et des Forêts.

Si ces gens-là ne veulent pas suivre l’intention du gouvernement, il y a peut-être un grand ménage à faire.

Alain Branchaud, directeur général de SNAP Québec

Le cabinet du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, n’avait pas répondu mercredi soir aux questions de La Presse à propos de ce changement de cap.

Le cabinet du ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a quant à lui indiqué qu’il attendait de voir le plan de Québec avant de le commenter.

« Nous verrons en temps et lieu les prochaines étapes et actions nécessaires pour assurer la protection et la survie de l’emblématique caribou au Québec », a déclaré son attachée de presse, Kaitlin Power.

Boulets rouges

Les communautés d’Essipit et de Mashteuiatsh tirent aussi à boulets rouges sur les mesures contenues dans l’ébauche de stratégie qui leur a été présentée et déplorent qu’aucune de leurs propositions n’y figure, comme l’a fait mercredi la communauté de Pessamit.

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« C’est une stratégie d’extinction qui se prépare pour le caribou forestier », assène Michael Ross, directeur du développement et du territoire du Conseil des Innus d’Essipit, sur la Côte-Nord.

« Pour le gouvernement actuel, l’enjeu, ce n’est pas la protection du caribou, [c’est] l’économie », ajoute Gilbert Dominique, chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh (ce qui signifie « les Innus du lac Saint-Jean » en langue innue), établie principalement à Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean.

PHOTO GUILLAUME ROY, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

Gilbert Dominique, chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh

Essipit avait proposé un projet d’aire protégée de 800 km⁠2 qui aurait été connectée à une autre aire protégée existante, de façon à atteindre le seuil minimal de 1000 km⁠2 de superficie sous protection recommandé par l’Équipe de rétablissement du caribou forestier du Québec dans ses lignes directrices pour l’aménagement de l’habitat du caribou.

« On proposait aussi des mesures de restauration, car l’habitat est très dégradé déjà par l’industrie forestière sur notre Nitassinan », ajoute M. Ross, soulignant que ces idées sont tirées d’études scientifiques.

Mashteuiatsh entendait pour sa part « proposer des superficies d’une importance intéressante pour donner une chance au caribou de pouvoir survivre », indique le chef Gilbert Dominique.

Défaut de consultation

Le gouvernement Legault a failli à son obligation de consulter adéquatement les Premières Nations en ne tenant pas compte de leurs enjeux dans sa stratégie pour les caribous, accusent les deux communautés innues, qui ont déjà intenté une poursuite contre Québec pour cette raison, rappellent-elles.

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« On va considérer nos autres options », indique M. Dominique, qui dit toutefois n’être « pas encore » à l’étape de bloquer des routes ou des chantiers forestiers pour se faire entendre.

Essipit et Mashteuiatsh comptent aussi sur le gouvernement fédéral pour mettre à exécution sa menace d’imposer par décret des mesures de protection du caribou au Québec dans l’éventualité où la stratégie québécoise serait insatisfaisante à ses yeux.

C’est d’ailleurs peut-être ce que cherche Québec, postule Michael Ross, qui a l’impression que le gouvernement Legault cherche à « mettre l’odieux [d’éventuelles mesures de protection] soit sur le gouvernement fédéral, soit sur les Premières Nations, soit sur quelqu’un d’autre pour dire : “Ah ! ce n’est pas de notre faute, ce qui se passe, on a essayé de proposer quelque chose” ».

En savoir plus
  • 8403 km2
    Superficie du Nitassinan (territoire ancestral) de la Première Nation d’Essipit
    Source : Conseil des Innus d’Essipit
  • 112 570 km2
    Superficie du Nitassinan (territoire ancestral) de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, dont fait partie Mashteuiatsh
    Source : Première Nation des Pekuakamiulnuatsh