Les connaissances scientifiques à l’égard des incendies de forêt en cette période de changements climatiques nous dictent une plus grande prudence dans la détermination des niveaux de coupe. Le temps est venu pour le Forestier en chef d’agir.

Si l’ampleur et le moment où les feux frappent sont difficiles à prédire, le fait que des forêts brûlent et brûleront est une évidence scientifique. Tous les spécialistes du milieu forestier savent que les feux font partie intégrante de l’écosystème boréal et que leurs effets sont inéluctables. Aussi, les experts des changements climatiques sonnent l’alerte depuis un certain temps déjà, la forêt boréale brûlera plus souvent. L’épisode de cette année est fort probablement le prélude d’un phénomène qui ira en s’aggravant.

Tenir compte des feux dans le calcul des niveaux de coupe permis

Parce que le feu détruit des forêts mûres ou de jeunes forêts en croissance, il a forcément un effet sur le rendement attendu de la forêt et donc sur la quantité de bois disponible aujourd’hui et demain. L’industrie forestière n’a d’autre choix que de partager la forêt avec le feu. Pour éviter les baisses drastiques des approvisionnements, des règles de prudence devraient s’appliquer.

Les niveaux de coupe devraient être diminués pour constituer des réserves à la hauteur des risques anticipés.

Déjà en 2015, un rapport scientifique à propos de la limite nordique des forêts attribuables lançait l’alerte à ce sujet en identifiant les zones de la forêt boréale aménageable où des mesures particulières devraient s’appliquer. De nombreuses études sont par la suite venues confirmer les appréhensions et suggérer des règles de prudence. La même année, la Stratégie d’aménagement forestier durable du ministère des Forêts engageait celui-ci à prendre en compte l’effet des perturbations naturelles dans la détermination des niveaux de coupe.

Au Québec, c’est le Forestier en chef qui calcule la quantité de bois pouvant être récolté. C’est donc à lui qu’incombe le devoir de mettre en œuvre cet engagement. Bien que des outils de calcul aient été développés par son équipe, la réelle prise en compte des feux dans la récente détermination des niveaux de coupe reste extrêmement faible. Le Forestier en chef a établi une réserve de 20 % seulement sur deux unités d’aménagement atypiques couvrant un très petit territoire. Cette réserve compte pour environ 65 000 mètres cubes de bois par année. Cela équivaut à se priver de couper environ 500 hectares de forêt. À ce jour, les feux de cette année totalisent déjà environ un million d’hectares. Quelle famille oserait se limiter à une si faible couverture d’assurance-incendie pour son domicile ? Selon certaines études, il faudrait établir des réserves de l’ordre de 5 à 20 % pour assurer la durabilité des niveaux de coupe dans les régions à risque. Pourquoi limiter la précaution à deux petits territoires ?

Des conséquences fâcheuses pour les communautés forestières sont à prévoir.

En l’absence d’une précaution suffisante, le tissu économique des régions nordiques est exposé à une plus grande vulnérabilité.

L’industrie réclame constamment une plus grande prévisibilité pour mieux planifier ses opérations et bien calibrer ses investissements. Cela nous semble aller de soi sauf que la trop faible prise en compte des feux ne peut conduire qu’à des baisses progressives du niveau de coupe. En conséquence, l’industrie devra se réorganiser au gré des aléas de la nature. Ces réorganisations risquent de se produire de manière soudaine. Non seulement cela conduit-il à un mauvais usage du capital d’investissement disponible (denrée rare), mais il sera déplorable de voir les communautés forestières subir les contrecoups brutaux des catastrophes à venir.

Le ministère sera-t-il tenté de compenser l’effet des incendies en rognant sur le plan caribou ou sur sa réponse aux attentes des communautés autochtones ? Si tel était le projet, maintenir le taux de coupe ne serait qu’une solution temporaire. Tôt ou tard, nous reviendrions au point de départ avec le même risque pour la structure industrielle, mais avec alors une biodiversité affaiblie et les droits des Premières Nations ignorés.

L’aggravation probable du problème des incendies fera en sorte que l’offre de bois résineux ne peut que diminuer. Le choix pour les communautés forestières nous apparaît clair ; il est urgent de modifier la structure industrielle de ces régions pour arriver à faire plus à partir de moins si on veut le faire plus longtemps. C’est à nos yeux un des axes majeurs que devrait comporter une stratégie forestière d’adaptation aux changements climatiques.

Bien sûr, la décision n’est pas facile à prendre puisqu’elle implique de baisser dès à présent les niveaux de coupe. Cette baisse peut se faire de façon organisée ou elle se produira de manière brutale et imprévisible, au gré des futurs incendies. Chose certaine, le Forestier en chef ne peut prétendre avoir déterminé des niveaux de coupe durables. Va-t-il maintenant s’engager à prendre pleinement en compte les connaissances scientifiques dans sa gestion du risque d’incendie ? La population est en droit de s’attendre à une réponse de sa part.

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