Les évacués de Lebel-sur-Quévillon ont eu la désagréable surprise d’apprendre qu’ils pourraient devoir plier à nouveau bagage, cette semaine, les incendies se rapprochant à nouveau de leur localité et l’absence de précipitations faisant craindre le pire. Mais un incendie peut-il reprendre là où il a déjà fait des ravages ?

Un incendie peut-il survenir à deux reprises au même endroit ?

« Un feu peut très bien brûler là où il a déjà brûlé, surtout en ce moment », répond le coordonnateur à la prévention de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), Stéphane Caron. « Dans un feu, ce ne sont pas toutes les zones qui ont complètement brûlé, donc ça peut facilement reprendre. Il faut comprendre que sur un feu qui a déjà brûlé, le territoire devient plus sec, donc ce qui n’a pas passé au feu est déjà asséché à un niveau extrême. Autrement dit, c’est hautement inflammable, un secteur forestier qui vient de brûler », explique-t-il.

Est-ce fréquent ?

En temps normal, il est plutôt rare de voir des incendies revenir au même endroit dans un temps rapproché, mais avec les conditions actuelles, « la sécheresse s’accumule et ça devient plus propice », note M. Caron. Ainsi, même si un feu est en théorie arrêté, plusieurs points chauds ne « demandent qu’à se réveiller », illustre-t-il. « Ça fait en sorte que n’importe quel feu peut reprendre de la vigueur et même recommencer à progresser. On a vraiment un cocktail météo parfait pour la progression des feux cette semaine. »

Des incendies successifs sont-ils pires pour la faune et la flore ?

Deux incendies rapprochés peuvent avoir un impact considérable sur un écosystème, indique Daniel Kneeshaw, titulaire de la Chaire de recherche sur la résilience et les vulnérabilités des forêts tempérée et boréale aux changements climatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Si ça passe deux fois avant que les arbres atteignent un certain âge mature, à ce moment, ils n’auront pas produit de graines au sol pour que ça repousse. Ça ferait alors en sorte qu’on se retrouve avec des zones sans arbres sur le long terme, ou alors plus avec un type de végétation herbacé qui domine. On perdrait donc beaucoup de superficies forestières à long terme », s’inquiète M. Kneeshaw.

Il y aurait aussi un enjeu pour certaines espèces animales, surtout chez les oiseaux, qui ont « besoin de forêts fermées pour vivre », dit l’expert. « On ne manque pas de milieux ouverts au Québec, mais la perte de forêts fermées, ça serait nuisible à long terme pour plusieurs espèces dont c’est l’habitat. »

Replanter en vaut-il la chandelle ?

D’après Daniel Kneeshaw, l’impact de la multiplication des incendies se fera aussi forcément sentir sur la production forestière à long terme au Québec. « Ça risque de mettre une pression sur le bois qui reste ailleurs, qui n’a pas brûlé, autrement dit. On pourrait même envisager éventuellement une pénurie de matériel, et donc d’emplois, dans des régions où l’industrie serait fragilisée », évoque-t-il.

La question essentielle à se poser, insiste l’enseignant, « c’est que si on plante, est-ce que les arbres vont atteindre leur maturité avant le prochain feu » ? Si le Québec a besoin de planter davantage, « il faudra construire plus de routes pour le faire, ce qui va forcément aussi augmenter les coûts », note-t-il.

« Ça revient essentiellement à savoir si l’investissement en vaut la peine sans une quelconque forme de régénération naturelle. On devrait au moins se questionner, avoir un sérieux débat là-dessus au niveau des budgets », estime M. Kneeshaw.

Faut-il revoir notre rythme de coupes ?

Les « accidents de régénération », soit des épisodes où des portions de la forêt sont incapables de repousser, risquent aussi de s’aggraver, prévient Philippe Gachon, professeur de géographie et spécialiste des incendies de forêt. « Quand ça se combine en plus à des coupes forestières, on le voit déjà dans certaines régions du Québec, il n’y a tout simplement plus rien qui pousse. Le sol est complètement décapé. C’est un problème majeur qu’on vit aussi au Québec », analyse-t-il.

Pour lui, « il va surtout falloir revoir notre stratégie d’approvisionnement et de coûts, parce que la forêt ne pourra pas se régénérer si on maintient les taux de coupes qu’on a aujourd’hui ». « Ce n’est plus adapté aux conditions changeantes et aux cycles d’incendies de forêt qui sont en train de prendre des proportions énormes, justement », insiste M. Gachon.

Pour protéger les villes et des infrastructures, le travail des pompiers est essentiel, note quant à lui M. Kneeshaw, mais leurs efforts ne peuvent changer réellement la donne au point où la situation en est aujourd’hui. « Pour la plupart du travail, c’est vraiment madame Météo qui détermine la suite. Quand le feu est grand, il n’y a pas de contrôle absolu qu’on peut avoir sur le territoire. On se limite alors à protéger nos acquis, comme des lignes de transmission électrique, par exemple », conclut-il.