(Opitciwan) Les incendies au Québec font parler au-delà de nos frontières. Des pompiers français venus en renfort ont raconté récemment au New York Times leur bataille contre le feu près de la communauté atikamekw d’Opitciwan, à plus de 300 kilomètres au nord de La Tuque.

Le 13 juin dernier, un incendie non maîtrisé progressait rapidement vers un chemin forestier, déchirant l’immense – et hautement inflammable – forêt boréale du Canada avec une force et une intensité déconcertantes pour une équipe de pompiers français.

Entourée d’une épaisse fumée, une poignée d’entre eux s’est enfoncée dans la forêt à la recherche d’eau. Un vétéran s’est agenouillé et a esquissé un plan avec son doigt droit sur la route de gravier, pressant d’attaquer le feu de front.

Mais le commandant n’est pas convaincu. Le feu, dit-il, est d’une immensité inimaginable en France. Les conifères sont d’une combustibilité qu’ils n’ont jamais rencontrée. Essayer d’éteindre cette petite parcelle serait « inutile ».

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Une délégation de pompiers français fait son arrivée à Roberval, le 9 juin.

« Nous ne sommes pas chez nous », déclare le commandant Fabrice Mossé, alors qu’un panache de feu s’élève d’un groupe d’arbres à proximité. Au même moment, un superviseur canadien de l’exploitation forestière qui avait conduit les Français sur les lieux, affirme, sur un ton nerveux, que « l’incendie va durer plus longtemps que prévu ». « Le feu va arriver d’une minute à l’autre. Nous pouvons discuter, mais faisons-le à 20 kilomètres d’ici. »

De retour à la base, Fabrice Mossé fait part d’une observation : « Si quelqu’un à New York se demande pourquoi il y a de la fumée, c’est parce que les incendies ici sont irrépressibles. »

« Impossibles à arrêter », insiste-t-il.

Premiers renforts

Un groupe de 109 pompiers français est arrivé dans le nord du Québec il y a deux semaines pour aider près de 1000 pompiers et soldats canadiens. Il s’agit des premiers renforts étrangers à aider la province à faire face à l’extraordinaire épidémie d’incendies de forêt qui a envoyé de la fumée à New York et dans d’autres villes d’Amérique du Nord, forçant des millions de personnes à rester chez elles en raison de la qualité dangereuse de l’air.

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La bataille contre les incendies de forêt à Opitciwan se déroule dans une zone typique de la forêt boréale.

Plus de 400 incendies de forêt ont brûlé dans tout le Canada. Mais une grande partie de la fumée au-dessus de New York provient du Québec, qui n’est pas habitué à tant d’incendies gigantesques et qui a déjà connu la pire saison d’incendies de forêt jamais enregistrée, alors qu’il reste encore plus de deux mois à celle-ci.

L’expérience du contingent français illustre les défis posés par la lutte contre les incendies de forêt au Canada, alors que les changements climatiques augmentent les risques pour ses forêts boréales, le plus grand écosystème forestier intact du monde et la plus grande voûte terrestre de carbone.

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Équipe de la SOPFEU formant un contingent de pompiers français à Roberval, le 11 juin

Habitués à s’attaquer rapidement et de manière agressive à des incendies beaucoup plus petits en France, les pompiers français doivent s’adapter à un espace terrestre dont l’ampleur les a laissés stupéfaits : le Québec, province trois fois plus grande que la France, est ravagé par des incendies parfois cent fois plus importants que ceux qu’ils ont l’habitude d’affronter.

Selon un commandant français, la lutte contre les incendies au Canada est empreinte de « fatalisme » : lutter contre les incendies signifie souvent les laisser brûler, en particulier dans les zones peu peuplées, et essayer d’empêcher qu’ils ne se propagent.

« Pour nous, il est absolument impossible de laisser les feux brûler », souligne le général Eric Flores, chef du contingent français, originaire de l’Hérault, dans le sud de la France, une région régulièrement touchée par des incendies de forêt. « Dans mon département, il n’y a pas un feu qui ne soit pas à moins de 10 kilomètres des maisons et des gens. Si je le laisse brûler, il deviendra incontrôlable. C’est pourquoi nous attaquons les incendies très rapidement. »

La bataille d’Opitciwan

Initialement déployés dans trois régions du nord du Québec, les Français ont convergé vers une région appelée Opitciwan – un point chaud situé à environ 630 kilomètres au nord de Montréal par la route.

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Vue de la réserve atikamekw d’Opitciwan

La bataille pour Opitciwan se déroule dans une zone typique de la forêt boréale habitée par une seule communauté d’environ 2000 Atikamekw réunis dans une réserve non loin d’un barrage hydroélectrique critique.

Des routes de gravier et de terre, tracées par une société forestière québécoise, Barrette-Chapais, sillonnent la vaste zone entourant Opitciwan, qui abrite également les vastes territoires de chasse ancestraux de la communauté autochtone.

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Panaches de fumée recouvrant le ciel au nord d’Opitciwan, le 12 juin

Jusqu’à l’arrivée des Français, plusieurs immenses incendies au nord d’Opitciwan avaient été laissés de côté, la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) ayant concentré ses efforts sur les zones habitées de la province, en particulier la plus grande ville, Chibougamau. Lorsque les incendies ont atteint un rayon de 20 kilomètres autour d’Opitciwan, des centaines de résidants âgés, des enfants et d’autres personnes ont été évacués vers Roberval, situé à environ quatre heures de route.

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Le général Eric Flores (à gauche), à bord d’un hélicoptère survolant les incendies de forêt au nord d’Opitciwan, le 14 juin

En survolant la zone en hélicoptère, M. Flores a constaté que l’incendie le plus proche d’Opitciwan était circonscrit, mais que deux autres incendies plus importants, au nord, faisaient toujours rage et n’étaient pas maîtrisés. La fumée recouvrait la forêt et des centaines de foyers d’incendie étaient visibles en contrebas.

De vastes étendues ont été incinérées, parfois juste à côté de zones encore verdoyantes. Des cabanes isolées, appartenant à des habitants d’Opitciwan, pouvaient être aperçues, certaines brûlées, d’autres encore intactes mais très proches des flammes. Aucune mort liée aux incendies de forêt n’a été signalée au Québec, les dégâts se limitant principalement aux cabanes et aux chalets ruraux.

Attitude défensive

Incapables d’affronter directement les incendies comme ils l’auraient fait chez eux, les Français ont adopté une attitude défensive en supprimant les braises dans les zones carbonisées à côté des zones intactes, en consultation avec leur agent de liaison de la SOPFEU, Louis Villeneuve, un vétéran de plus de deux décennies.

C’est l’immensité de la forêt boréale, l’immensité du Canada, et la forêt boréale est un combustible.

Louis Villeneuve, de la SOPFEU

Les conifères contiennent beaucoup de sève, qui brûle rapidement et agit comme un accélérateur pour les incendies de forêt qui se déplacent rapidement, projetant des flammes très haut dans l’air qui peuvent traverser les routes et d’autres obstacles.

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Des résidants de la communauté autochtone tentent de reprendre des forces après une journée de lutte contre les incendies de forêt.

Non loin de leur base – un camp de bûcherons que le général Eric Flores avait fortifié en abattant rapidement les arbres le long de son périmètre –, des dizaines de pompiers français se sont rendus en pick-up au plus profond de la forêt, près d’un lac. Une seule cabane, appartenant à un membre de la communauté d’Opitciwan, se tenait au bord du lac, intacte pour l’instant.

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Des pompiers s’apprêtent à prendre place à bord d’un hélicoptère qui les emmènera près d’Opitciwan, le 14 juin.

Un hélicoptère a transporté de petites équipes encore plus profondément dans la forêt, les déposant à des points chauds. Là, les Français tentent d’éteindre les feux qui couvent sous la surface, en arrosant le sol avec de l’eau qu’ils pompent dans les lacs et les cours d’eau des environs, afin d’empêcher les incendies de se rallumer et de se propager aux zones vierges.

Il s’agit d’un travail de longue haleine, qui consiste à repousser des incendies susceptibles de reprendre vie dans la chaleur de l’été qui s’annonce.

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Secteur rasé par les flammes, à quelques kilomètres de la réserve d’Opitciwan, le 13 juin

« Nous n’avons pas l’habitude d’aller dans des zones qui ont déjà brûlé », explique Jérôme Schmitt, 37 ans, un pompier français qui attend que l’hélicoptère vienne chercher son équipe. « Habituellement, nous allons combattre les incendies, mais nous nous adaptons. »

Être informé, la clé

Le lendemain de son arrivée dans la région d’Opitciwan, Eric Flores s’est rendu à l’improviste dans la communauté, qui n’est pas couverte par un réseau de téléphonie mobile. Il a trouvé ses dirigeants en train de tenir une réunion d’urgence dans la mairie. Les habitants, dont de nombreux membres du conseil communautaire, sont de plus en plus inquiets et critiques en raison de la perte de plusieurs cabanes.

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Le général Eric Flores, chef du contingent français (à gauche), et le chef d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish, prennent part à une émission sur les ondes de la radio communautaire.

À la demande de Jean-Claude Mequish, chef d’Opitciwan, Eric Flores est rapidement interviewé en direct sur la radio communautaire pour faire le point sur les incendies.

« Les gens n’ont pas d’information », déclare M. Mequish.

Tout le monde veut aller combattre les incendies. Je suis contre cela. Envoyer quelqu’un sans expérience, c’est trop dangereux.

Le chef d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish

Pourtant, le chef d’Opitciwan savait ce que les cabanes signifiaient : la vie sur les terres ancestrales, l’attachement à la culture dans la forêt. Au printemps et à l’automne, tout Opitciwan fermait ses portes pendant deux semaines, les membres se rendant dans la forêt pour se reconnecter à la nature.

« Tout a brûlé », a affirmé Steven Dubé, 46 ans, lors d’une entrevue à la table de sa cuisine avec sa femme, Annick, 45 ans.

Avec leurs proches, ils ont perdu six cabanes, des tentes et des canots sur leurs terres ancestrales. Ils y cueillaient des bleuets, chassaient l’orignal et la perdrix, et pêchaient le brochet, la truite et le doré.

« Nous y retournerons, a-t-il assuré. Nous reconstruirons au même endroit. »

Lisez l’article original sur le site du New York Times (en anglais, abonnement requis)