Respecté par certains, craint par d’autres : le meurtre d’un leader des gangs de rue à Montréal, tué mardi soir dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, ne laisse personne indifférent dans le milieu interlope et n’augure rien de bon. La victime était au cœur de nombreuses tensions entre différents groupes au sein du milieu criminel et sa mort pourrait perturber le fragile écosystème de la rue.

« SP », « Shawn Pouch », « Dirty S », le « S » : à peu près tout le monde lié de près ou de loin aux gangs connaissait Christopher Shawn Jean Vilsaint.

Plusieurs éléments font craindre des représailles et un certain désordre dans le milieu des gangs : il était influent et populaire, avait une coalition autour de lui et son père est une figure connue du crime organisé.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE LA VICTIME

Christopher Shawn Jean Vilsaint

Le jeune homme était considéré par la police comme membre d’un gang de rue du centre-ville surtout impliqué dans la fraude, le 26, gang aussi appelé « le régiment. »

Dans la rue, il était plutôt vu comme le leader d’une coalition de gangs de rue d’allégeance bleue. Ce groupe rassemble certains criminels de Laval, de Pierrefonds, des secteurs de Rosemont, Beaubien, Villeray, Saint-Michel, Pie-IX, LaSalle et du centre-ville. Ils avaient – avant la mort de Jean Vilsaint – pour alliés les gangs de rue du 43 de Montréal-Nord et un nombre restreint d’individus de Saint-Léonard, malgré leur allégeance rouge.

Le fait qu’il a fondé cette organisation aux larges ramifications qui souhaitait prendre du pouvoir au sein des gangs montréalais rend la situation préoccupante pour la sécurité publique. « Il a mis ensemble des gens de gangs différents autour de lui », ajoute une source proche du défunt.

Respecté, craint et au cœur des conflits

L’homme de 27 ans était paradoxalement apprécié de certains organismes communautaires auxquels il contribuait financièrement et respecté dans l’univers du rap émergent, où il récoltait un relatif succès. C’est pourquoi les publications éphémères en hommage à Jean Vilsaint pullulent sur les réseaux sociaux en ce moment.

Il y a rarement eu après la mort d’un membre de gang autant de réactions positives et négatives sur Instagram et Snapchat, plateformes de choix des gens de la rue pour se moquer d’un défunt ou afficher son deuil après un meurtre.

« Les gens ne se rendent pas compte de son influence et de sa générosité qui lui ont permis de monter discrètement. C’était quelqu’un qui pouvait créer un conflit, mais également éviter que les conflits débordent, car il voulait avant tout le contrôle et le pouvoir », nous a confié une source criminelle qui l’a côtoyé depuis l’adolescence. Le meurtre de Jean Vilsaint pourrait ainsi provoquer un certain désordre dans la rue, en plus d’exacerber les possibilités d’évènements de violence armée dans la métropole.

Jean Vilsaint était connu comme artiste rap depuis 2020 et jouissait d’une certaine popularité. Son album Mort pour moi était sorti l’année dernière. L’artiste est surtout connu pour avoir participé au succès Too Many, qui cumule plus de 1 million de vues sur YouTube.

Christopher Shawn Jean Vilsaint avait grandi en partie dans le secteur de la Petite Italie, à Montréal, élevé par ses grands-parents. Il est le fils de Steve André Vilsaint, alias Scarface, une figure bien connue dans le crime organisé, selon nos sources policières. Lors d’audiences à la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), des policiers ont mentionné la présence du père dans des bars et restaurants avec certains des plus importants chefs du crime organisé à Montréal, dont des membres de la mafia italienne.

Tensions de haut niveau

L’homme de 27 ans avait été mêlé à plusieurs conflits au fil du temps, selon plusieurs sources bien au fait de la situation.

Il s’était dissocié du caïd Jean-Philippe Célestin, alors qu’ils étaient autrefois liés. On ignore toutefois si ce froid entre les deux individus pourrait avoir un lien avec le meurtre de mardi.

Christopher Shawn Jean Vilsaint était de la garde rapprochée de Nitchell Lapaix, bras droit de Célestin tué en 2021. Sylvain Kabbouchi, autre figure de proue des gangs de rue, est accusé de ce meurtre. Il est actuellement incarcéré en attente de procédures judiciaires dans plusieurs dossiers liés à des crimes violents. Kabbouchi, surnommé Haboub, est considéré par la police comme un membre de Cho Blocc Mafia, un gang de rue du secteur de Chomedey à Laval.

Ce clan serait lié, selon les autorités, à Youness Aithaqi, alias Fréro, autre figure qui prend de l’ampleur dans le milieu interlope. Le groupe de Christopher Shawn Jean Vilsaint se serait enlisé dans un violent conflit avec ce gang. Certains membres ont d’ailleurs publié plusieurs commentaires et images offensantes sur les réseaux sociaux en faisant référence au meurtre de mardi soir.

Finalement, la victime était aussi le rival de deux gangs de rue lavallois soupçonnés d’être responsables de plusieurs évènements de violence armée : les Flamed Head Boys (FHB) de Laval-des-Rapides et le 24, gang de Saint-François.

Ciblé le mois passé

Selon nos informations, la victime savait que sa tête était mise à prix. L’homme avait été piégé puis pris pour cible dans une tentative de meurtre le 7 avril dernier à l’intersection de la rue Bellechasse et de la 25Avenue.

Ce soir-là, après une courte discussion, un homme de 21 ans qui se trouvait à bord du même véhicule – qui avait précédemment été déclaré volé – que Jean Vilsaint, aurait dégainé un pistolet de 9 mm et fait feu à plusieurs reprises dans sa direction.

C’est toutefois un autre homme dans la voiture qui a été atteint d’un projectile dans le haut du corps. Malgré cette blessure, il a réussi à prendre la fuite et a pu se rendre par lui-même dans un centre hospitalier. Ses blessures, bien que sérieuses, n’ont pas mis sa vie en danger.

Trois arrestations ont déjà eu lieu en lien avec cet évènement.