Auriez-vous cru, le mois dernier, que des équipes féminines de hockey sans nom ni logo attireraient 8300 personnes à Ottawa, 13 300 partisans au Minnesota et qu’un de leurs matchs serait vu par près de trois millions de téléspectateurs ?

Moi non plus.

L’engouement pour la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) est phénoménal. Samedi, pour le premier match local de l’équipe montréalaise, la ligue a enregistré une autre salle comble. Plus de 3200 amateurs ont rempli l’Auditorium de Verdun. Une foule impliquée, bruyante, énergique, qui rappelait celles des parties sur les campus universitaires américains. Ou celles des matchs de football des Carabins et du Rouge et Or. Même après le but gagnant des Bostoniennes, les fans sont restés pour applaudir leurs favorites, et scander : « Montréal ! Montréal ! Montréal ! » Une scène qui a ému Marie-Philip Poulin.

« Est-ce que ça surpasse tes attentes ? », lui a demandé un collègue.

« Oui. On voulait quelque chose de gros. Depuis que c’est parti, le 1er janvier, on voit comment les gens en parlent à la télé et sur les réseaux sociaux. Les [amateurs] sont excités. Ça fait des années qu’on attend ce moment-là. De voir un environnement comme ça… Honnêtement, je n’ai jamais vu autant de médias dans une salle. » Ça vient quand même d’une athlète qui a participé à quatre finales olympiques. « C’est remarquable. On commence quelque chose de grand. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

On battait le rythme à l’Auditorium de Verdun.

Déjà, une heure avant la rencontre, il y avait une ambiance de carnaval dans l’aréna. Au rez-de-chaussée, des percussionnistes accueillaient les spectateurs. Au premier étage, plus de 300 personnes faisaient la file pour acheter un chandail ou une tuque (sans logo !) aux couleurs de l’équipe montréalaise. Ça débordait jusque dans les escaliers. La foule était hétéroclite. Il y avait des francos. Des anglos. Des enfants. Des grands-parents. Cinquante pour cent d’hommes. Cinquante pour cent de femmes. Un groupe m’a semblé présent en plus grand nombre : les jeunes femmes de 18 à 30 ans.

Dans les gradins, on retrouvait aussi l’équipe de haute direction du Canadien : Geoff Molson, France Margaret Bélanger, Jeff Gorton, Kent Hughes, John Sedgwick, Geneviève Paquette.

« L’ambiance est vraiment super, m’a dit Geoff Molson.

— Pensez-vous que cette fois-ci, c’est la bonne pour le hockey féminin ?

— Oui. Ils font les choses de la bonne façon. Avant, il y avait deux ligues. Maintenant, une seule. Le niveau de jeu sera plus élevé. Dans les prochaines années, on verra beaucoup d’amélioration autour de l’équipe, plus d’implication de la communauté et des compagnies. […] En arrière-plan, on les aide à promouvoir le sport. On annonce leurs matchs. Si on peut les aider à trouver des commanditaires, on va le faire. Au fil des années, j’espère qu’on sera de plus en plus impliqués. »

Une partie des succès de la LPHF est attribuable à l’effet de nouveauté. Mais les ventes de billets des prochaines parties de l’équipe montréalaise laissent croire que la salle comble de samedi ne sera pas un cas unique cette saison. Cet engouement s’inscrit par ailleurs dans un mouvement plus large d’essor du sport féminin. Pas juste ici. Partout dans le monde.

La firme Deloitte prévoit que le sport féminin d’élite générera des revenus de 1,3 milliard US cette année. C’est trois fois plus que ses prévisions d’il y a trois ans.

Les cas de succès se multiplient. Aux États-Unis, les revenus de la WNBA sont maintenant de 200 millions US. En Angleterre, les joueuses de la Premier League de soccer gagnent en moyenne 80 000 $, et jusqu’à 500 000 $ CAN. En Inde, cinq clubs féminins de cricket ont récemment été vendus un demi-milliard de dollars.

La bonne nouvelle pour la LPHF, c’est que ses propriétaires sont riches. Ils peuvent se permettre d’être patients. Aussi, puisque la ligue est naissante, il y a plein d’espace pour la croissance. Pensez aux revenus de télédiffusion, de billetterie, de paris sportifs. Aux ventes de marchandise. Aux expansions, si les propriétaires désirent accueillir de nouveaux actionnaires.

Le produit sur la glace devra bien sûr être attrayant. D’après ce que j’ai vu jusqu’ici, il l’est. C’est ce qui existe de mieux après des finales entre les Canadiennes et les Américaines.

Toutes les meilleures olympiennes sont ici, sans les massacres de 11-2, 12-1 et 15-0. La ligue permettra également aux meilleures Européennes de s’améliorer rapidement, au contact des meilleures Nord-Américaines. Plus il y aura de la parité sur la scène internationale, plus le sport en profitera. D’ailleurs, au championnat mondial des moins de 18 ans, samedi, les Tchèques ont battu les Canadiennes en demi-finale.

Et puis, on peut espérer que la création de la LPHF contribue fortement à la popularité du hockey ici même. Pendant des décennies, le Québec a produit plusieurs des meilleures joueuses au monde. On nous l’a rappelé, samedi, en rendant hommage à Danielle Goyette, France St-Louis, Kim St-Pierre et Caroline Ouellette. Marie-Philip Poulin est déjà une légende du hockey féminin. Ann-Renée Desbiens, dite la Grande Muraille de Charlevoix, est considérée comme la meilleure gardienne au monde. Or, chez les plus jeunes, les joueuses des prochaines cohortes ne sont pas aussi dominantes. Ça s’explique notamment par le faible nombre d’inscriptions. Le Québec compte moins de joueuses par habitant que les autres provinces les plus peuplées.

INSCRIPTIONS EN 2022-23

  • Ontario : 45 768
  • Alberta : 11 755
  • Colombie-Britannique : 9 724
  • Québec : 7 608
  • Saskatchewan : 6 555
  • Manitoba : 5 842

Souhaitons que la présence d’une équipe de la LPHF à Montréal suscite un intérêt chez les Québécoises qui, je le re-re-re-re-resouligne, sont les jeunes filles les moins actives au pays. « Ça fait chaud au cœur de pouvoir être un modèle pour ces jeunes filles », a commenté Marie-Philip Poulin après la rencontre. « Mais je n’ai pas vu juste des petites filles dans les gradins. Il y avait des petits garçons, aussi. C’était assez remarquable. J’espère pouvoir continuer de faire [croître] le sport. »

La journée a pris fin avec une séance de signature d’autographes, à laquelle a participé l’attaquante Laura Stacey. « Tout le monde nous disait : on veut revenir ! C’est ce qu’on veut entendre. Nous jouons et nous nous entraînons depuis tellement longtemps. D’attirer tant de spectateurs qui voient [le résultat de nos efforts], j’espère que ça les encouragera à tous revenir. »

En français ou en franglais ?

Juste un petit mot sur une critique récurrente envers l’équipe montréalaise : la situation du français. L’entraîneuse Kori Cheverie, qui était unilingue anglophone au moment de sa nomination, a fait des progrès remarquables pour apprendre la langue de Guy Lafleur. Elle a d’ailleurs insisté pour commencer la conférence de presse d’après-match avec une allocution en français.

L’attaquante Laura Stacey a ensuite répondu à une question de mon collègue Jean-François Téotonio en français. Et tout au long de la soirée, l’animation en français était impeccable. Ça mérite d’être souligné.

Par contre, dans l’univers numérique, il y a matière à amélioration. Lu samedi sur X : « Nous avons du merch sur place. » Vraiment ? « C’est le temps de prendre l’écart. » Une expression lue trois fois depuis le début de la saison. Qui parle comme ça ? Et sur le site web du club, l’onglet « Watch », pour savoir où regarder les parties à la télévision, a été traduit par… « Montre ».

Come on.

Vous pouvez faire mieux.

You can do better.