J’ai ouvert la télé vers la fin de la première demie. Uniquement pour connaître le pointage. Je me suis peu intéressé à la Ligue canadienne de football cette saison, mais j’en savais néanmoins assez pour savoir que les Alouettes n’avaient aucune chance contre les puissants Argonauts de Toronto.

Mais, surprise surprise, les Alouettes étaient en avance. Mon premier réflexe a été de penser que ça n’allait pas durer. Mais plus je regardais, plus je voyais une équipe inspirée. En fait, surtout une unité défensive inspirée. Une unité défensive qui, à coups de gros jeux, frustrait les Argonauts.

Je ne pensais pas vraiment écouter la deuxième demie en entier. Je l’ai finalement fait sans voir le temps passer. Sur le bout de mon siège, j’ai même crié quand les Alouettes ont retourné un botté pour un touché, portant ainsi un coup fatal aux Argos, qui venaient eux-mêmes d’inscrire un majeur.

Pour tout vous dire, et à mon plus grand étonnement, il y a longtemps que je n’avais autant vibré durant un match, tous sports confondus. C’était splendide de voir « nos » Alouettes s’imposer avec autant de panache. Et de quitter Toronto victorieux.

Sur le terrain, où les joueurs des Alouettes célébraient, mon collègue Didier Orméjuste de RDS a mené avec adresse une série d’entretiens. J’ai découvert des gars super sympathiques, comme Marc-Antoine Dequoy et Kristian Matte. Non, ils ne deviennent pas multimillionnaires en pratiquant leur sport, mais ils sont animés par une passion irrésistible.

C’était beau de les entendre savourer ce grand moment. Et c’était encore plus beau de les voir spontanément faire l’accolade à Didier avant de rejoindre leurs coéquipiers.

Qui aurait cru les Alouettes capables de nous envoûter de la sorte ? Dans leur longue et riche histoire, ils l’ont pourtant fait souvent. Mais les dernières années ont été si compliquées qu’on oublie trop souvent à quel point leurs réussites font partie de l’histoire sportive de Montréal et de tout le Québec.

Mes parents étaient impressionnés par les prouesses de Sam Etcheverry et Hal Patterson dans les années 1950.

Mon frère, mes sœurs et moi tripions fort sur Sonny Wade et Moses Denson 20 ans plus tard.

L’ADN des Alouettes, c’est aussi le légendaire entraîneur Marv Levy. Et Pierre Desjardins. Et Johnny Rodgers, qui a tant fait jaser. Et Anthony Calvillo.

À cette liste prestigieuse, j’ajoute le nom de Danny Maciocia. Personne à Montréal n’aime plus les Alouettes que leur directeur général.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Danny Maciocia, directeur général des Alouettes

C’est à Danny que j’ai d’abord pensé à la fin du match. J’ose à peine imaginer la fierté qui devait l’habiter. Celle du gars de Montréal qui a commencé comme bénévole avec les Alouettes en 1996. « Donne-moi deux ans, avait-il dit à sa femme, et après, j’obtiendrai un vrai contrat. »

Il a gravi les échelons un par un, avant d’être embauché par l’équipe d’Edmonton. En 2005, à titre d’entraîneur-chef, il a mené ceux qu’on appelle maintenant les Elks à la conquête de la Coupe Grey dans une finale contre les… Alouettes !

Mais au plus profond de son cœur, Maciocia rêvait d’accomplir le même exploit avec les Alouettes. Après son séjour en Alberta, il est rentré au Québec pour diriger les Carabins de l’Université de Montréal. Chaque fois qu’une rumeur laissait entendre qu’il pourrait retourner avec les Alouettes, je débarquais à son bureau pour m’enquérir de la situation.

J’ai oublié ses réponses à mes questions d’alors. Mais je me souviens de l’essentiel : la lueur dans ses yeux quand il parlait des Alouettes. J’en étais chaque fois fasciné.

Avant le match de la Coupe Grey en 2018, je l’ai appelé : « Danny, moi, j’aime surtout la NFL. Alors pourquoi devrais-je regarder le match de la Coupe Grey ? »

Je me souviens de son silence étonné à l’autre bout du fil. Puis sa réponse est tombée d’un trait : « Je l’ai vécu une fois avec les Alouettes et trois fois avec Edmonton. C’est une semaine spéciale. Le pays au complet se réunit autour de cette rencontre. Il n’y a pas beaucoup d’évènements qui font ça au Canada. Et les matchs sont excitants. Moi, j’adore la Ligue canadienne et j’adore la Coupe Grey ! »

Les mots de Danny venaient du fond du cœur. J’en avais été impressionné.

En janvier 2020, le rêve de Danny s’est concrétisé : il est devenu DG des Alouettes. À la conférence de presse annonçant sa nomination, il était rayonnant. « J’ai regardé ce contrat et je l’ai regardé encore, m’avait-il dit. Je ne pouvais pas y croire… »

Hélas, la COVID-19 a frappé et la saison de la Ligue canadienne a été annulée. Plus tard, les nouveaux propriétaires des Alouettes ont multiplié les bourdes. Et l’équipe a été vendue à Pierre Karl Péladeau.

Non, je n’ai pas beaucoup suivi les activités de la Ligue canadienne cette saison. Mais j’en ai appris juste assez pour savoir que PKP est un propriétaire apprécié. Il surveille son investissement, mais laisse les gens travailler sans se mêler de football. Et il a le grand mérite d’avoir assuré la pérennité de l’équipe.

Aujourd’hui, les Alouettes sont qualifiés pour la finale de la Coupe Grey, une première en 13 ans. L’entraîneur choisi par Maciocia, Jason Maas, a accompli un boulot extraordinaire. Il a suffi de l’entendre en entrevue après la victoire des siens pour comprendre qu’il est un véritable meneur d’hommes.

Cette semaine, je n’appellerai pas Danny Maciocia pour lui demander pourquoi je devrais regarder le match de la Coupe Grey dimanche prochain. Je le regarderai parce que ça s’annonce une rencontre formidable. Mais surtout parce que les Alouettes feront vibrer le Québec toute la semaine.

Je sais, le football est l’ultime sport d’équipe où la victoire est une affaire collective. Mais j’ai quand même le goût de dire : bravo, Danny Maciocia ! Et bravo aux Alouettes qui, contre toute attente, nous font cadeau d’une percée de soleil dans la grisaille de novembre.