Samedi 28 octobre. Katia et Mya ont rendez-vous sur le ring. Les boxeuses amatrices participent toutes deux à leur premier championnat provincial. Elles s’entraînent fort pour ça, depuis des semaines. Elles se sentent prêtes. Katia Bissonnette est partie de Saguenay et Mya Walmsley, de Montréal. Elles s’affronteront à Victoriaville.

Mais à peine une heure avant le combat, tout dérape.

« Vers 11 h 15, je me réchauffe pour embarquer sur le ring, raconte Katia. Et là, mon coach me dit que mon adversaire, c’est quelqu’un qui est né homme… »

PHOTO FOURNIE PAR MYA WALMSLEY

La boxeuse trans Mya Walmsley

Le choc. La consternation. L’entraîneur de Katia, Denis Gravel, vient de recevoir le texto d’un collègue pour le prévenir : Mya est une personne trans. Jusque-là, personne n’avait cru bon de l’en aviser. Ni les organisateurs du championnat, ni la Fédération québécoise de boxe olympique, ni Boxe Canada. Tout le monde, apparemment, considérait que cette info ne le regardait pas.

« J’en parle avec mon athlète, raconte Denis Gravel. On y va ou pas ? On réfléchit. On manque d’informations. On a une heure avant le combat. On ne sait rien sur le taux de testostérone, on ne sait pas si cette personne a pris ou non des bloqueurs de puberté avant l’adolescence… On est dans le néant. »

L’entraîneur craint pour la sécurité de son athlète. « À la boxe, on se tape sur la gueule, on n’est pas dans un bassin d’eau ni sur une piste de course ! On est dans un ring et on veut gagner. »

Katia Bissonnette est craintive, elle aussi. « Si on n’est pas à armes égales, je peux avoir des séquelles, finir à l’hôpital, avec une commotion cérébrale ou dans le coma… » Devant l’inconnu, la psychologue saguenéenne choisit de se retirer. « On a tellement de questions, c’est impossible de faire autrement. »

Mya Walmsley se réchauffe de son côté lorsqu’on lui apprend que son adversaire ne montera pas sur le ring. Sachant que Katia Bissonnette a fait la route depuis le Saguenay, elle s’inquiète aussitôt. Son adversaire a-t-elle eu un accident de voiture ?

Une publication Facebook lui apprend que c’est plutôt elle, le problème.

Le choc. La consternation. Très vite, les médias s’emparent de cet enjeu aussi brûlant que clivant. Les médias sociaux, bien sûr, se déchaînent. Et c’est au tour de Mya de craindre pour sa sécurité…

« Je me suis sentie comme un objet politique, pas comme une vraie personne qui aime boxer et qui se réjouissait de participer à un combat », confie Mya Walmsley, 27 ans, étudiante en philosophie à l’Université Concordia.

D’origine australienne, elle avait boxé à quelques reprises, avant sa transition, mais ce n’est que depuis un an et demi qu’elle prend son entraînement plus au sérieux.

Soyons clairs : Mya Walmsley n’a pas décidé de changer de sexe, un beau matin, dans le but de collectionner les victoires sur le ring. Ça n’est jamais aussi simple que ça.

« Évidemment, je n’ai pas transitionné pour devenir boxeuse. Je fais ça pour le plaisir de participer à un sport. J’aime être en forme et en santé. Et je suis un peu compétitive, alors j’aime participer à des combats. Mais j’ai transitionné pour des raisons bien plus complexes que ça. Personne ne transitionne pour compétitionner dans les sports. Ça change votre vie de façon tellement fondamentale que ce n’est pas une raison valable de le faire… »

Je n’ai pas de misère à le croire. Il ne fait aucun doute que Mya Walmsley n’est pas devenue une femme trans pour tricher à la boxe. Il serait grotesque – et pas qu’un peu transphobe – de l’avancer.

Cela dit, les inquiétudes exprimées par Katia Bissonnette et par son entraîneur étaient parfaitement légitimes. Craindre pour la sécurité physique d’une athlète n’a rien de transphobe. Exiger que les organisations sportives soient plus transparentes à cet égard, non plus.

Pour le moment, on nage en plein brouillard. La Fédération québécoise de boxe olympique s’en remet à Boxe Canada, qui n’a aucune ligne directrice claire à présenter. Dans le cas de Mya, son unique recommandation a été de… tenir ça mort. De ne surtout rien dire, pas même aux adversaires de l’athlète trans, pour éviter que cette dernière ne soit victime de discrimination.

C’est fort vertueux, mais, manifestement, ça ne fonctionne pas. Les organisations sportives rêvent si elles pensent pouvoir régler cet enjeu en le balayant sous le tapis. « S’il arrive un accident, qui sera responsable ? », demande Denis Gravel. « On dirait qu’ils s’en lavent les mains ou qu’ils ont peur de se faire poursuivre pour transphobie. La sécurité de ma boxeuse, on s’en fout… »

Boxe Canada a bien une politique, affichée sur son site web, qui exige que les athlètes trans inscrites dans les catégories féminines présentent un bas taux de testostérone. Mais la fédération sportive n’applique pas cette politique ; un comité se penche encore sur la question.

Mya Walmsley confirme qu’elle n’a pas eu à mesurer son taux de testostérone avant de s’inscrire au championnat. « Ça mènerait à un cul-de-sac d’exiger ce genre de tests », à son avis « arbitraires et invasifs ». Mieux vaut faire confiance aux athlètes eux-mêmes, ainsi qu’à leurs entraîneurs, pour choisir les catégories de genre appropriées, estime-t-elle.

Ce n’est pas l’avenue choisie par de grandes organisations sportives comme la Fédération internationale d’athlétisme, qui a récemment banni les personnes trans ayant eu leur puberté masculine des compétitions féminines d’athlétisme. La puberté masculine, selon la Fédération, donne des avantages squelettiques et musculaires qui ne disparaissent pas en abaissant les taux de testostérone.

Les critiques estiment néanmoins ces nouvelles règles beaucoup trop restrictives. Le phénomène est relativement nouveau et les recherches, sans doute insuffisantes pour déterminer la meilleure approche à adopter.

Pour l’instant, on tâtonne. Mais il faudra bien un jour trouver un équilibre entre l’inclusion, la justice et la sécurité de tous les athlètes.

Mya Walmsley estime qu’« il n’existe pas un droit de savoir qui est trans et qui ne l’est pas ». Katia Bissonnette pense au contraire que les organisateurs doivent faire preuve de transparence pour permettre aux athlètes de prendre des décisions éclairées.

La boxeuse saguenéenne à la chevelure orangée pense surtout qu’elle n’aurait jamais dû avoir à trancher cet enjeu qui la dépasse, et qui dépasse amplement le monde de la boxe québécoise.

À son corps défendant, samedi, c’est un peu devenu son combat.