C’était un reportage d’avant-match beige, beige, beige. Le genre qu’on écoute en sourdine, en mettant les nachos au four.

« Les Orioles ont une fiche de 3-2 cette saison face aux Rays à Tampa, alors qu’ils n’avaient gagné que 3 fois en 21 matchs ici lors des trois dernières saisons. C’est une grosse différence. »

Ça vous scandalise ?

Moi non plus.

En fait, avoir été à l’écoute, ce soir-là, j’aurais simplement continué de surveiller mes nachos, pour m’assurer que le fromage soit fondu à la perfection, avec une mince couche brune croustillante sur le dessus. Miam. Mais les patrons des Orioles de Baltimore, eux, ont avalé la statistique de travers. Tellement qu’ils ont suspendu celui qui l’a relayée, Kevin Brown, descripteur de leurs parties pour MASN – une chaîne qui appartient au club.

La nature du crime reproché ?

Avoir rappelé aux téléspectateurs les années de misère des Orioles. Pourtant, ce n’est pas un secret industriel.

Tous les amateurs de baseball, de Baltimore à Taichung, savent que les Orioles émergent d’une longue et pénible reconstruction, marquée par des saisons de 108, 110 et 115 défaites. Le comble ? La statistique diabolique se trouvait dans les notes d’avant-match préparées par l’équipe de relations publiques des Orioles !

L’Absurdistan, dans toute sa splendeur.

Voyez le reportage de Kevin Brown

J’ai croisé mon lot de gens susceptibles dans le sport professionnel. Des entraîneurs-chefs suffisants. Des directeurs généraux méprisants. Des grands patrons à l’épiderme très, très sensible, qui se lamentent comme la princesse au petit pois dès qu’il y a un iota d’un soupçon d’un semblant de critique dans un texte.

Par expérience, ils réagissent de deux façons. Ou bien ils boudent et ignorent vos demandes d’entrevue pendant trois ans. Ou bien ils vous confrontent. C’est moins fréquent, mais ça arrive. L’ancien vice-président des Expos David Samson m’avait dit en pleine face qu’il n’appréciait pas mes articles. À sa défense, c’est vrai que c’est désagréable de se faire traiter d’incompétent.

Surtout quand c’est vrai.

Que disais-je, déjà ? Ah oui. Que j’en avais croisé, des patrons susceptibles. Mais aucun aussi chatouilleux, hypersensible et irritable que ceux des Orioles. Eux, ils sont de la classe mondiale. Peut-être même des champions du monde, comme ils disent dans Le dîner de cons.

Si vous êtes incapable d’assumer les années moches d’une reconstruction, même quand votre équipe occupe maintenant le premier rang de la ligue, comme les Orioles, c’est vous qui devriez changer d’emploi. Pas le descripteur dont le commentaire était, après tout, une simple reconnaissance de l’amélioration du club par rapport aux saisons précédentes.

Comment cette suspension a-t-elle été accueillie aux États-Unis ?

Mal. Très mal. Depuis sa divulgation, lundi, les témoignages de soutien affluent. Au stade des Orioles, mardi soir, les partisans ont scandé en bloc « FREE KEVIN BROWN » (Libérez Kevin Brown) au beau milieu de la partie.

Voyez la foule scander « Free Kevin Brown »

Des images qui ont fait le tour de l’Amérique, et qui ont assurément nui davantage à la réputation des Orioles que le rappel de leurs insuccès au Tropicana Field dans un reportage d’avant-match beige, beige, beige.

Face au tollé, l’équipe a finalement plié.

Kevin Brown retrouvera son micro vendredi.

Cet incident ridicule a permis de mettre en relief la relation particulière entre les descripteurs et les équipes professionnelles.

Quel est leur statut, au juste ? Sont-ils des employés du club ? Des relationnistes ? Des commentateurs indépendants ? Doivent-ils appuyer l’équipe locale, ou rester neutres ? Leur remet-on une liste de sujets à éviter, comme le dopage et les commotions cérébrales ? Peuvent-ils dire la vérité, toute la vérité, ou doivent-ils embellir des situations ?

La réponse simple : ça dépend.

Ça dépend du lien avec l’employeur. Kevin Brown, par exemple, travaille pour une chaîne qui appartient aux Orioles. Pendant les matchs, il porte un chandail aux couleurs du club. Je peux comprendre les patrons des Orioles de le considérer comme un membre de la famille – ce qui n’excuse pas leur geste stupide.

Au Québec, les descripteurs sont rarement si proches des équipes. Ceux des matchs des équipes professionnelles sont généralement embauchés par des entités indépendantes, comme TVA Sports, RDS, Cogeco et Apple.

Maintenant, ces entreprises sont aussi des partenaires commerciaux du Canadien, des Alouettes ou du CF Montréal. C’est dans leur intérêt, et celui du club, que les reportages soient écoutés le plus souvent, et le plus longtemps possible. Vous pouvez affirmer que le club joue mal dans une défaite de 8-1. Aucun problème, tout le monde le pense. Mais si vous voyez toujours le verre à moitié vide, plutôt qu’à moitié plein, vous ne ferez pas long feu.

Ça s’est déjà produit. En 1969, l’agence McLaren, qui produisait La soirée du hockey, trouvait que Jean-Maurice Bailly était trop critique. Elle l’a congédié. Quelques années plus tard, M. Bailly avait expliqué à Réjean Tremblay, dans La Presse, qu’il en avait eu le cœur brisé. « Pas à cause de l’argent. Seul René Lecavalier touchait un bon cachet. Je recevais entre 50 $ et 100 $ par émission. Mais j’aimais travailler au hockey. Je l’aurais fait pour le plaisir. En plus de perdre le hockey, j’avais été congédié trop tard pour pouvoir travailler au baseball. C’est le seul regret de ma carrière. »

Frédéric Lord décrit les parties du CF Montréal et de la MLS depuis une dizaine d’années. « De façon générale, j’essaie de rester positif », m’a-t-il expliqué. « En même temps, quand un club est mauvais, il est mauvais. Ça m’est déjà arrivé avec le CF Montréal, et on l’a dit. Mais je ne me suis jamais senti menotté. » Ni à TVA Sports ni chez Apple, précise-t-il. « Je n’ai jamais senti non plus que j’avais la responsabilité de vendre un produit, même si quand ton réseau est partenaire, c’est un peu implicite. Je n’ai jamais eu de problème avec ça. Après, c’est certain qu’il y a une mince ligne rouge. Il n’y a pas de livre de règlements ni de guide écrit, mais la ligne, elle existe. Comme descripteur, tu le sais, et tu t’arranges pour ne pas la franchir. »

Juste le gros bon sens, quoi.

Exactement ce dont les Orioles ont manqué.

Car cette fois, ce n’est pas le descripteur qui a dépassé la mince ligne rouge.

C’est l’équipe.

Salut, le Bleuet !

Réjean Tremblay a annoncé son départ du Journal de Montréal, mercredi. Il y était depuis 12 ans, après un passage de 37 ans à La Presse.

Réjean bouscule. Dérange. On aime ou on n’aime pas. Mais son style frondeur lui a permis de moderniser la couverture du journaliste sportif, en privilégiant les histoires plutôt que les résultats. Tous les journalistes de ma génération en ont profité. Sur une note personnelle, Réjean m’a épaulé dans mes premières années comme journaliste, puis comme patron. Je lui en suis reconnaissant. Bonne route, le Bleuet !