D’abord, un peu de golf fiction. Nous sommes dimanche prochain (eh oui !), en fin d’après-midi. Les deux derniers joueurs sur le mythique parcours d’Augusta, Rory McIlroy et Cameron Smith, partagent la tête du Tournoi des Maîtres. Ils marchent d’un pas décidé vers le 18e vert où chacun aura une occasion d’oiselet.

La foule est surexcitée, la tension est palpable. Ce duel est bien plus qu’un de ces nombreux affrontements historiques entre des surdoués qui ont créé la légende d’Augusta. C’est d’abord PGA c. LIV. Le vieux circuit contre le nouveau. Du jamais-vu dans la lutte pour le « veston vert ».

Les deux organisations se détestent, et certains joueurs sont incapables d’en blairer d’autres. Le côté « gentilhomme » du golf a laissé place depuis plusieurs mois à une rivalité féroce. Qui aurait pensé que le golf – le golf !!! – deviendrait le théâtre d’une lutte sans merci ?

McIlroy, le plus féroce défenseur de la PGA sur la place publique, est le premier à s’exécuter. Son coup roulé de 13 pieds frôle la coupe, mais la balle ne tombe pas.

Smith enchaîne, d’une distance de 12 pieds. Sa ligne est parfaite. La balle file droit dans le trou et le jeune Australien, qui aurait reçu 100 millions US pour se joindre à LIV Golf, remporte le tournoi.

PHOTO REINHOLD MATAY, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Cameron Smith

Un scénario pareil peut-il se concrétiser dimanche prochain ?

Et pourquoi pas ?

Smith est un des meilleurs golfeurs au monde et compte parmi les favoris pour remporter ce tournoi qui s’amorce jeudi. Si lui ou un de ses camarades de LIV – Brooks Koepka, Dustin Johnson, Joaquin Niemann ou un autre – en coiffe les honneurs, il s’agira d’un coup de tonnerre. Et d’un immense camouflet pour la PGA.

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Ce 87e Tournoi des Maîtres est historique. Il met au premier plan la crise qui ébranle le golf professionnel depuis le lancement de LIV Golf.

J’ai déjà écrit la répugnance que m’inspire cette ligue fondée sur la cupidité. Elle est financée par l’Arabie saoudite, pays qui bafoue les droits de la personne. Les golfeurs ayant fait le saut ont montré à quel point l’éthique ne les embarrassait pas. Après tout, ce n’est pas comme s’ils étaient mal traités dans la PGA.

Mais une fois qu’on a dit ça, reconnaissons l’évidence : LIV a provoqué un électrochoc dans le golf professionnel. Et dépoussiéré la PGA, qui profitait de son quasi-monopole pour imposer ses diktats.

Quand LIV a annoncé des bourses de 25 millions US par tournoi, la PGA s’est subitement souvenue qu’elle était aussi très riche. Résultat, des dizaines de millions supplémentaires ont été débloqués pour bonifier les revenus des joueurs. Ceux-ci, Tiger Woods et Rory McIlroy en tête, ont fait valoir leurs exigences, vite acceptées par le commissaire.

Que la PGA s’adapte sur le plan financier n’est pas étonnant. En revanche, il est plus surprenant qu’elle copie des initiatives de LIV sur le plan sportif.

Les tournois LIV sont de trois rondes (plutôt que quatre dans la PGA). Et aucun joueur n’est retranché à mi-chemin de la compétition.

Cette absence de « coupure » a valu à LIV plusieurs moqueries. Mais la PGA s’en inspire déjà. Dès la saison 2024, huit tournois de haut niveau seront réservés à environ 75 joueurs (grosso modo la moitié moins qu’à l’habitude) et aucun d’eux ne retournera à la maison après deux rondes.

Sur les réseaux sociaux, des golfeurs LIV se sont bidonnés à l’annonce de cette nouvelle. Lee Westwood a ainsi rappelé avoir lu si souvent sur l’importance des gros plateaux de joueurs et de la « coupure » après 36 trous...

Aujourd’hui, même les plus ardents promoteurs de la PGA reconnaissent que LIV a bousculé une industrie engourdie.

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Dans toute cette « révolution », les joueurs sont les grands gagnants. Ils touchent des sommes toujours plus colossales. Les perdants, bien sûr, sont les amateurs de golf.

Un exemple : le Championnat des joueurs (The Players) est le tournoi le plus important après les quatre majeurs. Le mois dernier, Scottie Scheffler s’y est imposé de manière convaincante.

PHOTO DAVID YEAZELL, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Scottie Scheffler a remporté le Championnat des joueurs de la PGA.

En revanche, Scheffler a eu la vie plus facile en raison de l’absence du champion en titre, Cameron Smith, passé à LIV Golf. Pendant que les meilleurs joueurs de la PGA luttaient pour le titre, l’Australien pêchait en Floride.

Scheffler n’a pas eu davantage à lutter contre Dustin Johnson ou Brooks Koepka. Les golfeurs LIV peuvent participer aux quatre tournois majeurs, dotés de leurs propres règles d’admission, mais pas à ceux qui sont régis par la PGA.

L’absence des vedettes LIV a diminué la qualité du spectacle. Et enlevé un peu de prestige à la victoire de Scheffler.

Certains diront que les meilleurs golfeurs LIV, parce que la « profondeur » est moins forte dans ce circuit, perdront au fil du temps la touche les ayant jusque-là maintenus parmi l’élite mondiale. Peut-être, mais je n’en suis pas convaincu.

Le golf est plein de surprises. Un grand champion en panne sèche peut s’imposer à un moment inattendu. Rappelez-vous la victoire de Phil Mickelson au Championnat de la PGA de 2021… à l’âge de 50 ans !

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LIV joue gros au cours des prochains jours. Si aucun de ses canons n’est vraiment dans la course dimanche après-midi à Augusta, la PGA bombera le torse et aura beau jeu de qualifier LIV de ligue mineure. Dans le cas contraire, LIV provoquera un nouvel électrochoc.

Au golf, rien n’est plus hasardeux que de prédire un vainqueur avant le début d’un tournoi. Cela dit, je ne serais pas étonné si ma fiction de début de chronique se concrétisait en partie et que l’explication finale ait lieu entre un golfeur PGA et son rival LIV.

Ce serait tout un spectacle.