À son apogée, Tiger Woods était seul au monde. Principalement parce que le monde du golf était le sien.

Dans les aires d’entraînement ou même une fois la partie commencée, sa présence était intimidante. Il ne regardait personne, rangeait son sourire et ne se mêlait jamais aux autres golfeurs. Trop occupé à triompher. Aujourd’hui, il est prêt à redonner, mais il veut toujours gagner.

Dorénavant, Woods fait partie de la bande. Il est au cœur d’une franche camaraderie avec bon nombre de joueurs du circuit PGA Tour. Plus isolé et en retrait à l’époque où il enlevait les grands honneurs à presque chaque tournoi, le plus grand joueur de l’histoire du golf se sent investi d’une nouvelle mission.

Woods a toujours été bon pour son sport. Les cotes d’écoute et les ventes de la société Nike peuvent en témoigner. Désormais, Woods est bon pour les autres joueurs.

Fred Couples, Justin Thomas et Rory McIlroy moulent sa garde rapprochée. Néanmoins, depuis son retour en 2018 et 2019, Woods est différent. Il semble plus léger, plus candide, plus heureux, à la rigueur. Il est surtout plus accessible pour les joueurs issus de la nouvelle génération, probablement tous trop jeunes pour se souvenir de sa première de cinq victoires au Tournoi des Maîtres en 1997.

« Ce tournoi nous permet de faire partager nos connaissances », a-t-il évoqué au cours d’une longue conférence de presse, mardi matin, en marge du premier tournoi majeur de la saison. « Je transmets plus mes connaissances aujourd’hui. »

En même temps, Woods apprend encore des anciens, comme Couples, son grand ami. « Les vieux savent comment jouer ce terrain. »

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Fred Couples et Tiger Woods pendant leur ronde d’entraînement à l’Augusta National, mardi

Tranquillement, à 47 ans, le Tigre entrera bientôt dans cette génération appartenant davantage au passé qu’à l’avenir. « Je connais plus de joueurs sur le circuit des champions que sur le circuit actuel », a-t-il lancé à la blague.

Il reste qu’avec cette expérience exceptionnelle accumulée au cours des 25 dernières années, Woods est sans doute la meilleure personne pour guider les grands champions d’aujourd’hui et de demain. Il veut s’impliquer dans leur succès et surtout les côtoyer le plus possible pour leur montrer la voie, surtout sur un parcours comme celui de l’Augusta National.

Il a d’ailleurs longuement louangé McIlroy, dont il est très proche. « Il va y arriver », a-t-il lancé quant au fait de savoir si le Nord-Irlandais allait finir par devenir le sixième joueur de l’histoire à réussir le Grand Chelem. « C’est une question de temps. Il a tout ce qu’il faut pour gagner ici. Il sait comment jouer ce terrain. »

Même si ce genre de commentaire peut paraître banal, le Tigre d’autrefois n’aurait pas évoqué le succès d’un rival, ou bien il aurait été très concis dans sa réponse. En fait, depuis la controverse entourant l’arrivée du circuit LIV Golf, Woods s’est levé comme l’ambassadeur qu’il est et qu’il doit être.

Il a toujours été une inspiration sans pareille, pour tous les golfeurs. Cependant, être devenu plus accessible et sensible au sort de ses contemporains offre une tout autre perspective de l’héritage qu’il pourrait laisser.

« C’est un rêve devenu réalité de partager le terrain avec lui », a affirmé Tom Kim, 20 ans, en conférence de presse.

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Tom Kim, Tiger Woods et Rory McIlroy

Le 19joueur mondial a passé la journée de lundi à s’entraîner avec son idole. Et il a beaucoup appris. « Juste le travail autour des verts. Les coups, les positions dans lesquelles il se met pour s’exercer. Tu comprends pourquoi il a eu autant de succès. »

Kim a profité d’un accès privilégié et impossible à obtenir il y a une dizaine d’années à peine.

Jouer pour gagner

Woods est vieillissant, amoché, et loin d’être en pleine possession de ses moyens. Toutefois, il ne faut jamais oublier que cet athlète hors norme a gagné l’Omnium des États-Unis avec une jambe cassée et un veston vert lorsque personne ne s’y attendait.

A-t-il pensé arrêter ? Difficile à dire. Chose certaine, il ne sait jamais si son prochain départ au Tournoi des Maîtres sera son dernier. « L’an passé, je ne savais pas si j’allais rejouer. Je ne sais pas combien il m’en reste », a expliqué l’Américain.

Il a disputé un seul tournoi cette saison. C’était l’Invitation Genesis, à la fin du mois de février. Et il n’a pas mal paru. Il a résisté à la coupure, il a terminé le tournoi sous la normale, en plus de taquiner McIlroy et Thomas, deux des cogneurs les plus puissants au monde, avec des coups de départ similaires, parfois supérieurs. Woods a claqué huit balles à plus de 300 verges lors de la première ronde.

« J’ai toujours voulu gagner. Et c’est encore le cas aujourd’hui. C’est ce qui a défini ma carrière. »

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Tiger Woods au départ du septième trou, mardi

Sur un terrain aussi particulier que l’Augusta National, tout peut arriver, et seulement un groupe sélect d’anciens champions ou de vétérans peut vraiment négocier avec les impondérables liés à ce parcours. « Tu ne sais jamais ce qui peut arriver sur ce terrain. Il n’y a aucun terrain qui est plus variable et qui est plus pénalisant si tu rates d’une verge seulement. » Si Woods réussit à se démarquer, ce sera grâce à son expérience et à sa connaissance accrue du parcours.

L’année dernière, lors de son grand retour en Géorgie, il avait résisté à la coupure. « Mon jeu est meilleur que l’année passée. Mon endurance est meilleure », assure-t-il.

Il ne fait pas partie des favoris pour remporter le tournoi, mais comme il l’a rappelé en affichant un grand sourire, « les gens ne pensaient pas [qu’il était] une menace en 2019 et ça s’est plutôt bien terminé ».

S’il met la main sur son sixième veston vert, il remportera du même coup sa 83victoire en carrière. Ce serait un record. Il est à égalité avec Sam Snead avec 82.

Malgré l’euphorie pouvant être créée par une éventuelle victoire, le succès se mesure désormais par la simple possibilité d’encore profiter de sa passion : « Je veux apprécier le fait de jouer. […] Je ne suis pas là où je voudrais être physiquement, mais je suis heureux d’être ici. Ce ne sera plus jamais comme avant et je le comprends.

« C’est différent, mais j’ai toujours aimé m’entraîner et jouer. C’est une joie différente. »