Ce texte aurait pu être rédigé en début de semaine dernière tellement la victoire de Scottie Scheffler au Tournoi des Maîtres était évidente. Néanmoins, ça n’enlève rien à la grandeur de l’exploit accompli dimanche après-midi. Au contraire, cette victoire est sans doute la plus spectaculaire depuis celle de Tiger Woods en 2019.

Consultez le classement final

Scheffler s’est présenté au Augusta National avec une tonne de pression sur les épaules. Depuis le début de la saison 2024, il est de loin le meilleur golfeur. Au-delà de son statut de premier joueur au classement mondial, il s’élève au-dessus de ses pairs par sa capacité – lire ici « superpouvoir » – de donner le meilleur de lui-même lors des évènements les plus importants.

Cette victoire est sa troisième de la présente saison à son neuvième tournoi. Il a aussi remporté l’Invitation Arnold Palmer et le Championnat des joueurs. Grâce à son pointage final de -11 au Tournoi des Maîtres, le joueur de 27 ans a ainsi gagné les trois évènements les plus prestigieux de ce début de saison.

Le plus impressionnant dans cette victoire est non seulement d’avoir fait fi admirablement de la pression, mais aussi d’être parvenu à confirmer sa domination. Le monde du golf n’a rien vu de tel depuis l’hégémonie de Woods au début des années 2000.

Le mois de mai ne s’est même pas encore pointé le bout du nez que Scheffler a amassé plus de 15 millions de dollars en bourses. Son plus récent gain de 3 600 000 $ sera certainement utile pour acheter un berceau de qualité supérieure pour son enfant à venir. Le premier bébé du couple qu’il forme avec sa femme Meredith depuis l’école secondaire est attendu dans les prochains jours.

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Scottie Scheffler enfile le mythique veston vert, aidé par Jon Rahm, gagnant du Tournoi des Maîtres en 2023.

Au-delà de la simple action de frapper la balle sur le parcours le plus prisé d’Amérique, Scheffler devait esquiver mille et une préoccupations. Mais il a su l’emporter pour la deuxième fois de sa carrière sur ce terrain, car les meilleurs doivent être les meilleurs, comme le veut l’adage. Un dicton qui, contrairement aux premières saisons de Piment fort, résiste à l’épreuve du temps.

L’hécatombe du Amen Corner

Au début de la journée, Scheffler était en tête du classement à -7. Non loin derrière suivaient dans l’ordre Collin Morikawa à -6, Max Homa à -5, Ludvig Åberg à -4 et Bryson DeChambeau à -3. La marge de manœuvre de l’éventuel gagnant était donc aussi mince que les brindilles de pin qui entourent chaque arbre de la propriété.

DeChambeau a rapidement été écarté du groupe de prétendants. Son jeu sur les verts, encore une fois, a été catastrophique. Tout comme son jeu avec ses fers sur les coups d’approche. Le représentant de la série LIV Golf a ramené une carte de 73 pour conclure au sixième rang à -2. N’eût été sa ronde extraordinaire de 65 lors de la première journée, il n’aurait jamais été dans le coup.

Restaient donc parmi les aspirants au veston vert Scheffler, Morikawa, Homa et Åberg. En raison des conditions météorologiques clémentes, on aurait pu s’attendre à plus de créativité et surtout plus d’audace de la part des joueurs en cette ronde finale. Or, en raison de la fermeté des verts, les golfeurs ont tous été limités. Après tout, il est bien difficile de dompter ce parcours presque centenaire le dimanche du Tournoi des Maîtres.

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Scottie Scheffler au 15trou

Lorsque le dernier groupe en piste a complété le septième trou, les quatre golfeurs les plus sérieux figuraient tous au sommet du classement, à égalité, à -6.

Mais au huitième trou, la machine Scheffler s’est mise en marche. Comme un prédateur aguerri de la jungle attendant que ses proies soient en position de vulnérabilité pour attaquer.

Au huitième trou, oiselet. Au neuvième trou, grâce à un coup d’approche exécuté à la perfection, il a frôlé l’aigle pour compléter l’oiselet avec son fer droit. Au dixième, avec un beau roulé droite-gauche, Scheffler a enfilé l’aiguille pour un autre oiselet. Son avance se creusait alors dangereusement.

Puis, dans le Amen Corner, les dieux du golf ont visiblement aidé celui qui est en voie de devenir un jour un immortel.

Au 11e trou, Åberg a envoyé son coup d’approche dans l’eau. Double boguey. Morikawa, déjà victime d’un double boguey à cause d’une mésaventure dans une fosse de sable au neuvième, a lui aussi envoyé son coup d’approche dans le cours d’eau en bordure du vert au 11e. Autre double boguey. Homa, quant à lui, a envoyé sa balle dans les fleurs derrière le vert étroit du 12e trou. Un coup de pénalité et double boguey.

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Scottie Scheffler au 6trou

C’est comme si les adversaires de Scheffler tombaient les uns après les autres. Au même moment, l’éventuel vainqueur jouait en pleine possession de ses moyens.

Lorsque le temps a semblé s’arrêter dans cette ronde finale, que tous ses rivaux étaient fragiles, Scheffler les achevait avec élégance et gentillesse, comme l’a déjà chanté Selena Gomez. En gardant la tête froide et en mettant de l’avant sa nonchalance habituelle, comme s’il s’agissait d’une ronde du mercredi matin au Rigolfeur, il continuait d’être intransigeant.

Une vraie victoire

Avant de se faire remettre le veston vert par Jon Rahm, le gagnant de l’année dernière, Scheffler a réalisé six oiselets à ses 11 derniers trous. Un exploit digne d’un double champion du veston vert.

Plusieurs diront au lendemain de cette victoire, et probablement dans les semaines à venir, que cet autre gain s’explique seulement par la chute de ses rivaux dans le Amen Corner.

Malheureusement, et c’est encore plus vrai cette année, aucun gagnant quittant Magnolia Lane avec un veston vert sur le dos n’a triomphé par hasard ou par défaut.

Certes, les rivaux de Scheffler se sont effondrés, et il l’a emporté par une priorité de quatre coups sur Åberg. Ça devrait justement convaincre ses détracteurs d’à quel point le Texan a été solide, physiquement et mentalement, pour ne pas craquer comme les autres avant d’avoir complété son 72e trou de la semaine.

Si ses homologues se sont enfargés dans leurs bogueys et leurs doubles bogueys, Scheffler, lui, collectionnait les oiselets. Il a joué une ronde finale de 68 ; seul Tom Kim, avec un 66, a fait mieux. Et ce simple fait d’armes réalisé sur un parcours où il a été le seul des 80 joueurs à finir dans les -10 est un argument suffisant.

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Scottie Scheffler et son caddie Ted Scott

Des amateurs trouveront Scheffler un peu insipide. Il n’est jamais épris d’excès de joie, c’est vrai, mais il n’est jamais victime d’excès de rage non plus. Il n’est pas le plus expressif en entrevue, c’est vrai, mais il est toujours resté un apôtre fidèle et un défenseur infatigable du circuit ayant mis au monde les légendes venues avant lui.

Son élan est un séisme, il est maladroit lorsqu’il enfile le veston le plus convoité du sport et il pleure lorsqu’il parle de sa conjointe.

Scottie Scheffler est faillible. Et c’est pourquoi il est un grand champion auquel s’identifieront de plus en plus de golfeurs dans les années à venir.

Sa technique de frappe est loin d’être scolaire comme celle de Morikawa ou d’Åberg, mais qui n’a jamais été attiré par un peu de rébellion ?

Son style de jeu n’a rien de très spectaculaire, diront certains. Mais Scheffler se met dans le trouble plus souvent qu’à son tour et finit toujours par s’en sortir héroïquement. L’Américain nous force à être sur le bout de notre siège et nous pousse à être consternés à chaque sauvetage.

Après tout, il doit bien y avoir quelque chose de spectaculaire chez un golfeur qui atteint un ratio de seulement 67 % des verts en coups réglementaires, de 64 % des allées et de 33 % des fosses de sable sauvées et qui, malgré tout, remporte le plus extraordinaire des tournois de golf. D’ailleurs, sa ronde de 68 était sa 40e consécutive sous la normale. Il n’a jamais joué dans le positif depuis le 26 août 2023.

Peu importe ce qu’on dit de lui, Scheffler donne l’impression d’en faire bien peu de cas de toute façon. Il avait une seule chose à dire à la caméra avant de recevoir son veston vert dans le club-house : « Meredith, je t’aime. Je rentre à la maison. »