Ce n’est jamais une bonne idée pour un nouvel entraîneur-chef de faire mauvaise impression à la conférence de presse annonçant sa nomination.

C’est encore plus vrai à Philadelphie, où l’intransigeance des fans des Eagles fait partie de la légende. En décembre 1968, par exemple, ils ont hué le père Noël durant un spectacle de la mi-temps et lui ont lancé des balles de neige. Tout ça parce que la saison désastreuse de leurs favoris les exaspérait. Cette affaire, qui a alors retenti aux quatre coins des États-Unis, a bâti le socle de leur légende.

Voilà pourquoi Nick Sirianni a été jugé durement après avoir raté ce premier rendez-vous en janvier 2021. Ses propos débités trop rapidement et de manière maladroite, avec l’accent sur « les systèmes » qu’il implanterait, ont fait le tour de la NFL.

À la télé américaine, un analyste réputé s’est demandé comment le nouveau coach des Eagles ferait pour parler avec conviction à ses joueurs s’il n’était même pas fichu de s’adresser efficacement à des journalistes.

Trois mois plus tard, Sirianni a de nouveau fait sourciller en révélant un de ses trucs dans ses entretiens avec les espoirs en vue du repêchage. En raison de la COVID-19, l’exercice s’est déroulé sur Zoom et il a proposé à certains d’entre eux une partie de « Roche, papier, ciseaux » pour vérifier à quel point ils étaient compétitifs !

Le pauvre gars n’avait pas encore dirigé un seul match qu’il était déjà victime de moqueries. On connaît la suite : Sirianni n’a eu besoin que de deux saisons pour conduire les Eagles au Super Bowl.

Aujourd’hui, plus personne ne met en doute ses compétences. Les « systèmes » qu’il a mis en place fonctionnent à l’évidence très bien. Et s’il pense en apprendre davantage sur la personnalité des jeunes joueurs en jouant une ou deux manches de « Roche, papier, ciseaux » au cours d’une longue conversation avec eux, eh bien, c’est son affaire !

Son rival des Chiefs de Kansas City, Andy Reid, connaît très bien l’implacable marché de Philadelphie puisqu’il a dirigé les Eagles durant 14 saisons, les conduisant au Super Bowl en février 2005 (défaite). Il a aussi réussi le coup trois fois avec les Chiefs à l'issue des saisons « régulières » 2019, 2020 et 2022.

À première vue, difficile d’imaginer deux entraîneurs aux profils plus différents. Reid est âgé de 64 ans et occupe des postes de premier plan dans la NFL depuis longtemps. Sirianni a 41 ans et son originalité surprend souvent.

En revanche, les deux entraîneurs ont un point en commun : chacun compte sur un extraordinaire quart-arrière.

Avec ses passes vives et d’une précision inouïe, Patrick Mahomes accomplit des miracles sur le terrain. Il réussit aussi de gros jeux quand la situation semble désespérée. Cette capacité à trouver des plans B ou C le caractérise.

Il y a trois semaines, Mahomes a été blessé à une cheville contre les Jaguars de Jacksonville. Il est néanmoins revenu au jeu durant le match et, malgré les craintes, a ensuite disputé la finale de l’Association américaine contre les Bengals de Cincinnati. Sa mobilité n’était cependant pas optimale.

Mahomes sera-t-il à son mieux dimanche ? La réponse à cette question en dira long sur les chances des Chiefs.

Souhaitons que oui. Car en pleine possession de ses moyens, il est non seulement le meilleur joueur de la NFL, mais aussi le plus excitant.

Le quart-arrière des Eagles est Jalen Hurts. En janvier 2018, à sa deuxième saison aux guides de l’attaque de l’Université de l’Alabama, son équipe tirait de l’arrière 13-0 après la première demie de la grande finale du football collégial. Son entraîneur Nick Saban l’a alors retiré du match. En relève, Tua Tagovailova a permis aux siens de combler ce déficit et de filer vers la victoire.

Hurts a célébré avec ses coéquipiers et félicité Tagovailova. Les festivités terminées, de retour dans sa chambre d’hôtel, il s’est cependant mis à pleurer, comme le racontait récemment The New York Times. Perdre son poste dans un moment si crucial lui a fait mal, surtout en raison de ses succès antérieurs.

Cette dure expérience ne l’a cependant pas anéanti. « Cette journée a fait de moi qui je suis. Je n’y changerais rien », a-t-il déclaré à ESPN en 2019.

Il n’empêche qu’un doute persiste : Hurts peut-il gagner « le » gros match ? Les quarts-arrières comme lui, qui courent beaucoup avec le ballon, ne font pas toujours l’unanimité.

Mais attention : Hurts est un passeur très efficace et la défensive des Chiefs devra être alerte pour le contrer. Comme Mahomes, Hurts est embêté par une blessure, à une épaule, dans son cas. Les statistiques démontrent qu’il est légèrement moins précis depuis ce temps.

À quel genre de match aurons-nous droit ?

Je m’attends à un feu d’artifice avec beaucoup de points au tableau, même si les Eagles ont la meilleure défense du circuit.

Je m’attends à ce que les deux quarts-arrières nous en mettent plein la vue et concrétisent avec éclat le changement de génération auquel on assiste à cette position clé, avec les retraites récentes de plusieurs grands noms et la montée en grade de la relève.

Je m’attends à des efforts colossaux des frères Kelce : Travis, l’ailier rapproché des Chiefs, et Jason, le centre des Eagles. Si deux frères entraîneurs-chefs se sont déjà affrontés au Super Bowl en 2013 (John et Jim Harbaugh), c’est une première pour deux joueurs.

Je m’attends à un jeu clé en défense de Haason Reddick, des Eagles, au quatrième quart.

Et je m’attends, après un match endiablé, à une victoire de 34-28 des Eagles.

Bon Super Bowl, tout le monde !