La France accède à la finale, le rêve du Maroc prend fin. Nous avons envoyé nos chroniqueurs Alexandre Pratt et Marc Cassivi vivre le match entourés de partisans des deux équipes. Alexandre était chez les Français, Marc chez les Marocains. Voici un compte rendu de leur après-midi.

Lisez la chronique d'Alexandre Pratt

13 h 15 : Dans l’escalier du Centre culturel marocain, rue Viger, une jeune mère transporte une poussette avec une amie. Dans la grande salle, il y a beaucoup d’enfants et une ambiance bon enfant. Un bébé avec son maillot d’Hakimi, un garçon de 5 ou 6 ans avec son maillot de Ziyech. Beaucoup de jeunes et de femmes aussi. Ce n’est pas un mercredi après-midi à la taverne d’antan. Un jeune homme portant un drapeau marocain comme une cape me propose gentiment la place à ses côtés. Il n’est pas le seul à s’être drapé de rouge et de vert. La salle est déjà presque pleine, avec ses trois grands écrans. Il y a une autre salle à l’étage. Je me mets à espérer n’avoir pas été trop critique des Lions de l’Atlas lors de mon récent passage comme analyste du match Maroc-Portugal à RDS…

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le rouge et le vert étaient à l’honneur au Centre culturel marocain.

13 h 30 : On joue du tambour, on siffle, on chante et on danse. Ambiance exaltée, joie et émotion à fleur de peau. Tout le monde est debout devant les musiciens sur scène qui entonnent une chanson à répondre. Quand Yassine Bounou, le gardien de but marocain né à Montréal, est présenté à l’écran, tout le monde crie « Bono, Bono, Bono ! ». Mon voisin de siège, qui s’est absenté, revient à sa place avec un taârija, un tambour marocain. Heureusement, il joue bien…

13 h 55 : Quelques-uns dans la salle huent La Marseillaise. Mon jeune voisin dit : « Non, non ! » En revanche, tout le monde est debout pour l’hymne national marocain. On crie et on siffle quand on présente les Lions de l’Atlas. De ma place, je ne vois qu’un tiers d’écran, mais je sais « au son » quand le Maroc va de l’avant. Ici, on reproduit à l’identique les chants et les rythmes du tambour du stade à Doha. Je me retrouve dans une magnifique chambre d’échos.

14 h 04 : On crie de peur quand les Français se présentent dans la surface de réparation. Des dizaines de Marocains ont simultanément la tête entre les mains autour de moi. La crainte est fondée : le silence est complet lorsque Théo Hernandez marque pour la France. Tout d’un coup, j’entends clairement pour la première fois la voix de mon ami Jean Gounelle, analyste à RDS. Il y a un sursaut d’espoir et un cri collectif strident lorsque Ounahi, révélation marocaine du tournoi, provoque un bel arrêt de Lloris.

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La France marque un premier but…

14 h 20 : « Y a pas carton ! », crie-t-on à mes côtés lorsque Boufal prend un carton jaune, clairement involontaire, sur Théo Hernandez dans la surface adverse. Puis de jeunes femmes crient de plus belle en voyant les images de la France qui marque. « C’est le replay ! On reste calme ! », leur dit mon voisin joueur de tambour, en souriant.

14 h 35 : Le 12e joueur de la rue Viger applaudit et soupire de soulagement lorsque Bono fait l’arrêt sur un tir de Giroud, après une course de Mbappé. Le gardien marocain a donné quelques sueurs froides à ses compatriotes montréalais. Des petits garçons font des dessins pour leur maman. La salle crie en chœur quand Lloris stoppe le tir renversé acrobatique d’El Yamik, après un corner dangereux. Aux coups francs successifs de Ziyech, en toute fin de première période, certains font leurs prières, les yeux clos. Il y a eu juste assez d’occasions pour galvaniser la salle à la mi-temps.

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De jeunes partisans attentifs… et passionnés !

15 h : Je discute avec mon voisin, la jeune vingtaine, accompagné de sa sœur qui m’offre une bouteille d’eau. Oussama a immigré à Montréal il y a deux ans et s’est trouvé du travail en marketing. En France, ses demandes d’entretiens étaient infructueuses. Un jeune homme sympathique avec un sourire radieux. « Je suis Français, donc je ne peux pas perdre ! Les Marocains nous ont fait rêver. C’est déjà beaucoup ! » Il est venu voir tous les matchs du Maroc ici. « Au premier match, il y avait un petit déjeuner, des crêpes, c’était super ! » Il apprend que je suis journaliste, s’inquiète de l’image que les médias français donnent des jeunes d’origine marocaine pendant la Coupe du monde. Des généralisations. Il a bien raison.

15 h 10 : Il y a des cris de joie quand Amrabat revient sur toute la longueur du terrain pour enlever le ballon à Mbappé. Puis des applaudissements lorsqu’on voit en gros plan le visage du sélectionneur Walid Regragui, figure charismatique qui a fait rêver toute la diaspora marocaine.

15 h 38 : Le but français, construit par Mbappé pour Randal Kolo Muani, est le signal de départ de quelques petites familles. Les Lions jouaient avec l’énergie du désespoir. Dans la salle, il n’y a plus d’espoir. On applaudit quand même les joueurs, à chaque changement dans l’effectif. Et il y a encore des Oh ! et des Ah ! à chaque occasion de but dans les arrêts de jeu. Les Marocains, joueurs et spectateurs, auraient mérité ce but tellement ils n’ont cessé d’attaquer le but français en deuxième période. « Penalty ! », crie un homme près de moi quand le tir d’Ounahi dévie sur une main française.

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Dans la salle, il n’y a plus d’espoir…

15 h 53 : « L’Argentine va gagner en finale de toute façon », dis-je à Oussama, en me retournant vers lui. Je constate qu’il pleure. « Je suis désolé, c’est la pression qui redescend », qu’il me dit. Il est émouvant. Il me serre la main au sifflet final, les yeux encore mouillés. À 16 h, juste de l’autre côté de la rue Berri, des supporters français sortent de l’édifice de l’Alliance française, victorieux. Les drapeaux marocains et français se croisent sur le trottoir. Dans une haie d’honneur improvisée, les Français de Montréal applaudissent les Marocains de Montréal. C’est souvent beau, la Coupe du monde.

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Les drapeaux marocains et français se croisaient sur le trottoir après le match.