Je ne me reconnais plus. En photo, je veux dire. Je sursaute chaque fois que je vois mon visage sur un écran. Comme si les traits que j’y découvrais n’étaient pas les miens. Le décalage entre l’image que je projette et celle que je me fais de ma tête, dans ma tête, est stupéfiant.

Mais qui est ce monsieur aux cheveux de plus en plus blancs et clairsemés, à la barbe blanche ébouriffée, qui a deux poches de kangourou sous les yeux ? Quel logiciel de vieillissement facial a transformé le visage de chérubin de ma trentaine en celui, buriné par le temps, de poster boy du Bel âge ?

J’ai parfois dans la vie oublié mon âge. Ai-je 36 ou 37, 42 ou 43 ans ? On vient qu’on ne sait plus, comme dirait mon père. Je n’oublie pas que j’ai eu 50 ans l’an dernier. Mon âge ne m’a jamais autant marqué. Je ne me retrouvais plus dans ces chiffres ronds. Il n’y avait plus d’adéquation entre l’âge que j’ai et l’âge que j’ai l’impression d’avoir.

« Quel âge me donnez-vous ? », demandait le slogan d’une pub d’Oil of Olay des années 1980. J’y ai pensé en voyant le titre du reportage de ma collègue Valérie Simard sur l’âge réel et l’âge ressenti ou subjectif. Une étude réalisée au Danemark en 2006, rappelle Valérie, a démontré que les personnes de 40 ans et plus ont tendance à se considérer comme 20 % plus jeunes que leur âge.

« À soir, c’est mon anniversaire. Ben oui, regarde donc, j’ai 35 ans. Je l’sais, je l’sais, j’en ai pas l’air. J’t’encore plus jeune par en dedans », chantait Dédé Fortin sur l’une des plus belles chansons des Colocs, Le répondeur.

Comme bien des gens, je me sens plus jeune « par en dedans ». Dans mon for intérieur, j’ai environ 39 ans. Mais contrairement au regretté Dédé Fortin, il y a longtemps qu’on me croit plus vieux que je ne le suis réellement. C’est une sorte de double peine. À 35 ans, j’avais déjà les tempes grisonnantes. À 40 ans à peine, feu Denise Bombardier me décrivait déjà dans le journal comme un quinquagénaire.

Est-ce que j’ai moi aussi, comme le décrit ma collègue dans son reportage, un rapport tordu au temps ? Sans aucun doute. Lorsque je discute avec des collègues dans la jeune quarantaine, j’ai l’impression que nous avons le même âge. Et quand je parle avec des collègues de moins de 30 ans, j’oublie que j’ai l’âge d’être leur père. Eux me perçoivent sans doute de la même manière que je percevais les collègues de mon âge quand j’avais leur âge…

Au dernier party de Noël de La Presse, je l’admets, j’ai eu peur de me ridiculiser sur la piste de danse devant des collègues dans la vingtaine. Parce que je me souviens qu’à leur âge, j’ai vu des collègues de 50 ans un peu éméchés se déhancher exagérément sur des tubes new wave de leur jeunesse.

À 50 ans, on tend à se percevoir comme ayant 40 ans, constatent les chercheurs. C’est peut-être vrai dans ma tête. Ce l’est beaucoup moins dans mon corps. Le corps ment moins que l’esprit, il faut croire…

À 40 ans, j’étais dans la forme de ma vie. Je courais des marathons. Dix ans et une pandémie plus tard, je peine à me motiver à courir 5 km plus d’une fois par semaine. J’ai abdiqué devant mon dad bod (un vrai, pas comme celui de Patrick Mahomes photographié avant sa participation au Super Bowl).

Je joue au hockey, ce qui ne fait qu’achever l’impression d’avoir pris un coup de vieux. Sur la glace, je suis constamment rattrapé par mon âge et par mes adversaires (souvent plus vieux que moi). Mes yeux voient le jeu – de loin surtout, maudite presbytie ! –, ma tête comprend « la game dans la game », comme dirait Martin St-Louis, mais mes jambes ne suivent plus et mes bras ne répondent plus.

Je ne suis pourtant pas si vieux, même si j’ai droit aux rabais de la FADOQ (connue auparavant comme la Fédération de l’âge d’or du Québec). En moyenne, on ne devient vieux qu’à 74 ans, selon un sondage réalisé par le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) qu’évoque Valérie dans son reportage. Mes parents, qui viennent de passer ce cap, ne sont pas d’accord.

« On n’est pas vieux avant au moins 80 ans ! », selon ma mère, pour qui on est encore « jeune » à 50 ans. Elle qui a longtemps prétendu, le sourire en coin, avoir 39 ans, ne se reconnaît pas non plus dans son âge réel. Même si comme moi, ses cheveux blancs prématurés, qu’elle n’a jamais teints, ont pu la vieillir aux yeux de certains.

Un camarade d’université que je n’avais pas revu depuis des années, un coureur-cycliste-fondeur qui garde la forme, se demandait récemment à quel moment nous avions pu devenir « des bonhommes ». J’ai une théorie qui n’est absolument pas scientifique sur la vieillesse, que j’ai néanmoins validée auprès de quelques hommes de ma génération. J’ai commencé à ressentir les effets du vieillissement à 46 ans. Le corps qui récupère moins vite après un effort, de petites douleurs que l’on se découvre quotidiennement et qui font souffrir plus longtemps qu’avant. « J’aurais aimé en avoir été averti ! », m’a dit un acteur bien connu.

« La vieillesse est un naufrage, les vieux sont des épaves », écrivait Chateaubriand. Je suis à l’âge où l’essentiel des conversations dans le vestiaire de hockey tourne autour de nos bobos, petits et grands : des conseils pour un bon remplacement de la hanche ou afin de vaincre la goutte. À l’âge où, à notre corps défendant, on émet un petit grognement doublé d’un soupir prolongé chaque fois qu’il nous est nécessaire de passer de la position assise à la position debout.

Un vieil ami a eu 50 ans la semaine dernière. Je lui ai rappelé, même si c’est un cliché, que vieillir est un privilège. C’est vrai. Il faut seulement se le répéter souvent pour s’en convaincre.