C’est mon image préférée de Montréal. De nos sièges, on a une vue sur les cimes des arbres qui surplombent la tribune nord, leur silhouette contrastant avec le ciel bleu irisé de reflets orangés, au-dessus de la pelouse quadrillée à la perfection, le mât nacré du Stade olympique trônant, impérial, sur notre gauche.

« Il n’y a pas d’endroit dans le monde où l’homme est plus heureux que dans un stade de football », disait Albert Camus. Le journaliste et analyste Vincent Destouches le rappelle dans son livre De l’Impact au CF Montréal, qui retrace 30 ans d’histoire de notre équipe de soccer professionnelle et vient de paraître aux Éditions de l’Homme. Ce n’est pas moi qui vais contredire un Prix Nobel de littérature.

« Il va faire 20 degrés samedi ! », m’a fait remarquer cette semaine Fiston, qui n’a pourtant pas l’habitude de s’intéresser à la météo. Ce n’est pas de refus après une semaine de pluie. Nous avons de la chance : tous les samedis de match depuis le début de la saison, nous avons eu droit à du beau temps.

Nous allions au stade Saputo de plus en plus souvent depuis quelques années. Nous avons franchi le pas. J’ai acheté deux abonnements pour cette équipe que je ne cesserai jamais d’appeler l’Impact. C’est ma Régie des alcools, ma Commission des liqueurs, mon Berri-De Montigny...

Depuis que nous sommes des abonnés, nos petites habitudes sont en voie de devenir des rituels. Nous quittons la maison après un souper hâtif. C’est Fiston, son permis d’apprenti en poche, qui conduit jusqu’aux abords du parc Maisonneuve, que nous traversons à pied jusqu’au stade. Stratégie à revoir en fin de soirée, alors qu’il règne un noir d’encre dans le parc. On n’y distingue pas une fontaine d’eau d’un renard des surfaces.

J’aime cette marche, presque autant que le match. Même si elle est le plus souvent silencieuse. Accorder ma foulée à celle de mon fils me rassure. C’est un rappel que nous sommes toujours synchrones, en phase, malgré le temps qui passe et cette impression, cruelle et inévitable, que plus j’avance en âge, moins je dois sembler dans le coup pour un garçon de presque 17 ans. Il marche de plus en plus vite ; j’adapte ma cadence pour le suivre.

J’ai toujours aimé « aller au stade ». Je conserve de vieux souvenirs du Manic au Stade olympique, du Supra au stade Claude-Robillard et de l’Impact au « Big O » et au stade Saputo (voire au Centre Molson).

J’ai assisté à des victoires enivrantes et à des défaites amères, à des triomphes et à des désillusions. À des matchs survoltés attirant plus de 50 000 spectateurs au début des années 1980 et au milieu des années 2010, ainsi qu’à des matchs ternes disputés au début des années 1990 devant à peine quelques centaines d’amateurs.

J’ai vu jouer en bleu-blanc-noir l’une de mes idoles de jeunesse, Alessandro Nesta, et l’adversaire le plus redoutable de mon parcours amateur, Mauro Biello. J’ai vibré avec Marco Di Vaio, Didier Drogba et Ignacio Piatti. Il n’y a rien en revanche, dans le vaste spectre d’émotions que m’ont inspiré ces grands joueurs, qui surpasse le simple fait de me retrouver au stade un jour de match avec un de mes garçons. Gagne ou perd.

Évidemment qu’on préfère sauter de joie, bras dessus, bras dessous, extatiques et incrédules parce que Romell Quioto vient de marquer dans les arrêts de jeu, que de rentrer penauds d’un Stade olympique archicomble après une finale de Ligue des champions perdue face à Club América.

La victoire a toujours meilleur goût. Il n’empêche que pour moi, le résultat n’aura jamais autant d’importance que l’expérience du match lui-même. Que ces quelques heures de complicité partagées avec mon fils.

Il ne voit sans doute pas les choses du même œil. Fiston est un vrai partisan du CF Montréal, au courant des dernières nouvelles du club, des rumeurs d’échanges et de transferts, des résultats (en temps réel) des autres matchs de la MLS et de leur impact immédiat sur le classement.

Le samedi, pour nous, c’est désormais la soirée du soccer. On regarde les matchs à la télé lorsqu’ils ont lieu à l’étranger. Sinon, on est au stade. Hier, on y était pour voir Patrice Bernier, notre capitaine éternel, intronisé au Mur de la renommée. Samedi prochain, on y sera pour voir le Toronto FC se faire défoncer (s’agissant de Toronto, l’exception confirme la règle : le résultat m’importe).

Je me surprends à espérer que ce nouveau rituel se transformera en tradition. Que dans 10, 15 ou 20 ans, on se retrouvera encore au stade, côte à côte, Fiston et moi. Observant le soleil se coucher sur la tribune nord, après avoir traversé le parc Maisonneuve, au même rythme.