Il portait fièrement une coupe Longueuil, une moustache fournie et un coupe-vent en tissu parachute aux motifs fluo, cintré par un sac banane assorti. Disons qu’il ne passait pas inaperçu. Je l’ai remarqué à travers la vitrine de la quincaillerie de mon quartier. Un jeune homme qui semblait tout droit sorti d’une pub de K-Way, en 1984.

Ç’aurait presque pu être Fiston, la coupe mulet et la moustache en moins. Sa garde-robe ressemble à la mienne au début des années 1980, comme bien des jeunes de son âge qui achètent leurs vêtements dans des friperies, chez Renaissance ou au Village des Valeurs.

La mode rétro est tenace. Le coton ouaté a toujours la cote. Les chaussures de sport blanches et les jeans taille haute itou. Manquerait plus que les ados ne provoquent ironiquement le retour des Jordache pas de poche.

La chambre de Fiston croule sous les vêtements d’occasion. Des t-shirts achetés pour une bouchée de pain, des vestes au rabais, des pantalons vendus pour le dixième du prix initial. Je veux bien que le fait de recycler les vêtements soit écologique, grâce à l’économie en eau, en énergie et en transport. Mais est-ce qu’on contribue à sauver la planète lorsqu’on paie 10 $ pour un chandail qu’on ne porte pratiquement jamais, parce qu’il y en a 20 autres dans sa commode ?

Je me posais cette question en lisant l’excellent dossier de ma collègue Valérie Simard, qui a relevé le défi de n’acheter aucun nouveau vêtement pour elle et son fils pendant un an.

Ce n’est pas pour me vanter, mais pendant les deux premières années de la pandémie, je n’ai pas acheté le moindre vêtement moi non plus. J’ai même porté un nombre très limité de vêtements. Un pantalon de jogging, deux jeans en alternance pour les rares sorties de la maison, un t-shirt noir et un kangourou gris, toujours le même, qui sera associé pour toujours à la COVID-19.

Je n’ai pas grand mérite. J’achète rarement des vêtements, sinon lorsque je suis en voyage, et je n’ai pas voyagé pendant deux ans. Relever ce défi était autrement plus simple au plus fort de la pandémie, alors que nous étions plus ou moins confinés, que depuis un an, comme l’a fait Valérie.

J’oserais aussi dire que, règle générale et pour toutes sortes de raisons qui relèvent tant de la pression sociale que de l’image de la femme véhiculée dans la publicité et les médias, c’est moins un défi pour un homme.

Je n’ai pas souffert de ne pas avoir acheté de nouveaux vêtements pendant deux ans. Je ne me suis jamais demandé si mes collègues ou mes amis avaient remarqué que je portais la même chemise ou le même t-shirt que l’avant-veille. Mon placard est rempli de chemises, de t-shirts et de jeans qui sont identiques : de la même couleur, de la même taille, de la même marque.

De toute façon, mes collègues ont d’autres chats à fouetter. Deux d’entre eux ont porté les mêmes chandail et t-shirt gris au bureau pendant un mois, dans le cadre d’un reportage en 2016, sans que quiconque s’en rende compte. Peut-être que l’on surestime l’attention que porte notre entourage à notre habillement ?

Une réflexion s’impose avec le « retour à la normale » des derniers mois, qui nous encourage à rattraper le rythme de consommation de l’avant-pandémie. Nos résolutions collectives de simplicité volontaire semblent soudainement avoir pris le bord, comme nos promesses annuelles de fréquenter une salle de sport après le mois de mars.

Je comprends la lassitude et, pour certains, carrément la déprime, de toujours être habillé de la même façon. Même moi, qui suis loin d’être une carte de mode, je ne peux plus voir mon kangourou gris pandémique en peinture. J’ai eu des envies de le brûler dans un feu de joie afin de conjurer les mauvais souvenirs de la COVID-19.

Je suis loin d’être un acheteur compulsif, mais je ne suis pas insensible à une bonne affaire. Me suis-je déjà targué d’avoir trouvé ce veston de velours côtelé gris-vert chatoyant en solde à seulement 15 $ ? Au moins cent fois, diraient mes garçons.

Je dois tout de même me rendre à l’évidence : je possède beaucoup trop de vêtements que je ne porte plus. Ils s’accumulent dans mon placard depuis des années. Des chemises aux cols élimés, des pantalons devenus trop serrés, des chandails dont j’avais oublié l’existence. J’ai beau savoir qu’en principe, on peut porter des jeans pendant des semaines sans les laver, j’en possède plus que jamais. Une tache de sauce à spag est si vite arrivée...

Il fut un temps où je n’achetais de nouveaux souliers que lorsque j’avais usé ceux que je portais à la corde. Désormais, mes nombreuses chaussures de sport encombrent l’entrée de la maison... presque autant que celles de Fiston.

« Tu t’es encore acheté des souliers de course avec une couleur magnifique ! », a-t-il ironisé lorsque je suis revenu de New York à Pâques. Ils sont orange. Tirant sur le fluo. Mais je les ai eus à un prix imbattable.