La production vestimentaire mondiale annuelle a doublé dans les 20 dernières années. Frappée par les images des hordes de textiles qui s’empilent dans les pays du Sud, notre journaliste a pris une décision radicale : un an sans magasiner. Réflexion sur le gaspillage vestimentaire et la mode jetable.

En retrait de la société de consommation

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Dépotoir de vêtements, mode rapide qui pollue, vêtements « sans valeur », les raisons sont nombreuses pour critiquer l’industrie du vêtement. Voici ce qui m’a menée à me lancer dans l’expérience d’un an sans magasinage.

« Cimetière de vêtements », « décharge mondiale de la mode », « là où la fast fashion va mourir ».

À l’automne 2021, de grands médias de partout dans le monde diffusaient des images du désert d’Atacama, au Chili, envahi par des montagnes de vêtements, pour beaucoup des invendus de nos friperies, importés par conteneurs. Une partie est revendue sur les marchés locaux, mais ceux qui sont trop usés ou simplement considérés comme démodés prennent le chemin d’immenses dépotoirs, parfois illégaux, qui menacent les écosystèmes et la santé des populations. Cette situation n’est pas propre au Chili. On retrouve de telles décharges au Kenya, au bord de la rivière Nairobi, en Tanzanie, au Ghana, et dans bien d’autres pays en développement sans infrastructures nécessaires pour gérer ces tonnes de textiles venus du Nord.

  • Dans le nord du Chili, dans le désert d’Atacama, des vêtements s’amoncellent dans des décharges sauvages comme celle-ci.

    PHOTO MARTIN BERNETTI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Dans le nord du Chili, dans le désert d’Atacama, des vêtements s’amoncellent dans des décharges sauvages comme celle-ci.

  • Dans le nord du Chili, dans le désert d’Atacama, des vêtements s’amoncellent dans des décharges sauvages comme celle-ci.

    PHOTO ARCHIVES, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Dans le nord du Chili, dans le désert d’Atacama, des vêtements s’amoncellent dans des décharges sauvages comme celle-ci.

  • Dans le nord du Chili, dans le désert d’Atacama, des vêtements s’amoncellent dans des décharges sauvages comme celle-ci.

    PHOTO ARCHIVES, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Dans le nord du Chili, dans le désert d’Atacama, des vêtements s’amoncellent dans des décharges sauvages comme celle-ci.

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Ces images, devenues un symbole de notre surconsommation vestimentaire, ont été l’élément déclencheur de cette réflexion sur notre rapport à la mode. Comment en est-on arrivé là ? D’où vient ce besoin de soumettre notre garde-robe à un renouvellement constant ?

Pour mieux comprendre les forces qui nous poussent à consommer, j’ai choisi la voie radicale. « Faire une année sans shopping, c’est se placer en retrait de la société de consommation pour regarder ce qui se passe », note Alexandra Graveline, une Montréalaise qui a relevé ce défi en 2018, influencée par le récit d’une journaliste du New York Times ayant passé toute une année sans acheter de nouveaux vêtements.

« Je réalisais qu’il y avait une déconnexion entre mon comportement d’achat compulsif et d’autres valeurs qui m’interpellaient comme la sobriété et l’environnement », raconte cette professionnelle des relations publiques.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Alexandra Graveline

Au départ, je ne savais pas comment l’industrie de la mode était brisée et à quel point c’est une industrie polluante. Je me rendais vraiment juste compte qu’il y avait quelque chose que j’allais combler en achetant des vêtements de façon compulsive. Je dépensais au moins 500 $ en vêtements par mois. Ça fait peur.

Alexandra Graveline

Le rappel d’une tragédie

Il y a 10 ans, le 24 avril 2013, le Rana Plaza, un immeuble abritant cinq manufactures de vêtements au Bangladesh, s’est effondré, tuant 1135 personnes. Cette tragédie a mis en lumière comment la course aux bas prix, qui définit aujourd’hui l’industrie du vêtement, met en péril la sécurité des travailleurs. Si, comme d’autres, j’ai alors pris conscience de l’impact de ma consommation de mode rapide sur les humains, puis quelques années plus tard, de l’effroyable empreinte environnementale de cette industrie, traduire cette information en gestes réels fut une autre paire de manches. J’achetais encore trop.

En mai 2022, une étude réalisée par des chercheurs en psychologie et publiée dans Nature Sustainability mettait en lumière cette contradiction en démontrant l’écart entre les motivations écologiques des consommateurs et leurs comportements d’achats. Ainsi, ceux qui disaient choisir des produits plus écoresponsables sont aussi ceux qui avaient acheté le plus de vêtements dans les trois mois ayant précédé ce sondage mené dans quatre pays.

Consultez l’article publié dans Nature Sustainability (en anglais)

Une consommation en hausse

Que nous consommions éthique ou local, des fibres biologiques ou recyclées, le cœur du problème réside dans la surconsommation. Entre 2000 et 2014, la consommation de vêtements par personne dans le monde a augmenté de 60 %, selon un rapport de la firme McKinsey. « Les consommateurs ont réagi à la baisse des prix et à la plus grande variété en achetant davantage de vêtements, soutient le rapport. Le nombre de vêtements produits annuellement a doublé depuis 2000 et a dépassé les 100 milliards pour la première fois en 2014 : près de 14 articles vestimentaires pour chaque personne sur Terre. »

PHOTO DARIA MARCHENKO, FOURNIE PAR JANIE-CLAUDE VIENS

Janie-Claude Viens, agente de développement en transition écologique chez Concertation Montréal

L’industrie produit trop, donc le consommateur achète trop.

Janie-Claude Viens, agente de développement en transition écologique chez Concertation Montréal

Après des études en mode, un emploi en boutique et une maîtrise en management et développement durable, Janie-Claude Viens, agente de développement en transition écologique chez Concertation Montréal, accompagne aujourd’hui les designers et les consommateurs dans la réduction de l’empreinte écologique liée au textile. Ancienne grande consommatrice de vêtements, elle a elle-même réalisé une année sans magasinage en 2019-2020.

Pour Valérie Guillard, professeure et chercheuse en marketing à l’Université Paris-Dauphine, cette accélération de la consommation est attribuable à la mode rapide, un segment de l’industrie dont les bases ont été jetées dans les années 1970 et qui s’est étendu à l’échelle mondiale dans les années 2000. Ce modèle, qui repose sur les bas prix, la variété et la réponse rapide aux envies des consommateurs et aux tendances observées dans les grands défilés, s’est depuis accéléré, si bien qu’on parle aujourd’hui de mode ultrarapide, avec des acteurs comme SHEIN, qui se vantait en 2021 sur Twitter de lancer 1000 nouveaux articles par jour.

Les vêtements de fast fashion n’ont plus de valeur. Ils sont issus d’un travail très peu rémunéré. La matière première, c’est beaucoup du synthétique, donc du pétrole détourné (source de microplastiques), ou alors du coton, l’une des cultures qui demandent le plus de pesticides.

Valérie Guillard, professeure et chercheuse en marketing à l’Université Paris-Dauphine

Le 1er avril 2022, je me suis donc lancée dans une année sans magasiner impliquant ma garde-robe et celle de mon fils de 6 ans. Un an à n’acheter aucun vêtement neuf ni d’accessoires, exception faite des sous-vêtements. J’avais décidé que les friperies et les applications de revente ne me seraient pas interdites, mais devant le constat qu’il est aujourd’hui très facile de reproduire un comportement de surconsommation en achetant usagé et que plusieurs applications l’encouragent, j’ai resserré cette règle à mi-année, écartant les achats de vêtements usagés, sauf ceux pour enfants, la croissance engendrant la nécessité. Mon poids étant aussi relativement stable, il est plus facile de relever ce genre de défi. Parce que oui, ce défi a été relevé. Un peu dans la douleur, mais aussi dans la joie… Bonne nouvelle : cette retenue ne fut pas une épreuve olympique !

Oui, je le veux !

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Au printemps 2022, l’ambiance était à la liberté. Après deux ans de confinements intermittents, c’était le retour des sorties entre amis, des 5 à 7 et l’arrivée du printemps. Dans les médias, on parlait des suggestions de tenues pour le retour en présentiel.

« Les gens ont envie de porter de nouveaux vêtements », déclarait alors le styliste Jeff Golf, dans La Presse. Pas ceux de 2019 ni ceux de la pandémie.

Défi oblige, j’étais condamnée à ressortir mes vieux habits. Les premières semaines ont été plutôt faciles. Je ne magasinais pas tous les mois, alors quelle différence ? J’ai même cru que ce défi n’en serait pas vraiment un. Jusqu’en mai, où j’ai dû assister à l’ouverture d’un espace mettant en valeur les créateurs québécois. Dans le cadre de mon travail à La Presse, je suis appelée à couvrir la scène locale de la mode. Comme si une journaliste nouvellement sobre couvrait l’industrie du vin. Se tenir loin des tentations n’était pas entièrement possible !

Au cœur de mon année sans achat, l’envie de renouveau s’est pointée de façon cyclique, souvent au carrefour des saisons, ou lorsque je devais enfiler, sans entrain, pour la 42e fois, mon chandail noir et mes jeans « skinny » que je finirai par user à la corde.

« On l’a valorisé, ce renouveau-là », souligne Marie-Eve Faust, professeure et ancienne directrice de l’École supérieure de mode de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Marie-Eve Faust, professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM

Je ne vous mentirai pas. Le tour de ma garde-robe, je commence à l’avoir fait depuis janvier 2021. Et Dieu sait que j’aimais ça beaucoup, beaucoup, beaucoup, magasiner.

Marie-Eve Faust, professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM

En janvier 2021, elle a pris la décision qu’elle n’achèterait principalement que des vêtements fabriqués à partir de fibres locales. Comme le Québec en produit peu – elle a d’ailleurs participé à la mise sur pied de l’antenne québécoise de Fibershed, un organisme qui promet l’utilisation des textiles du terroir –, Marie-Eve Faust ne s’est depuis offert pratiquement aucun nouveau vêtement.

Pourquoi ce renoncement nous semble-t-il si inconcevable ? Peut-être parce que le vêtement a perdu depuis longtemps sa stricte fonction utilitaire. « La pièce à la mode représente à la fois l’amour, la richesse et le pouvoir, ce qui explique que la recherche du client ne soit jamais rassasiée : elle est une croyance vide, vouée à l’échec, car impossible à atteindre », écrit l’historienne Audrey Millet, dans Le livre noir de la mode.

Une façon de compenser

« C’est une dynamique qui s’installe pour tenter de venir combler certains de nos besoins psychologiques [principalement les besoins de connexion aux autres, d’autonomie et de compétence] qui ne sont pas nécessairement satisfaits », explique la psychologue clinicienne Geneviève Beaulieu-Pelletier, également professeure associée à l’UQAM. « Le magasinage peut être une forme de compensation. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne et professeure associée à l’UQAM

Quand ils sont satisfaits, ces besoins psychologiques fondamentaux viennent activer notre système motivationnel en lien avec la dopamine et la recherche de plaisir. Le bien-être psychologique est là. Mais quand ils sont frustrés, on veut quand même aller activer notre système dopaminergique et c’est là qu’on va essayer de trouver d’autres façons de le faire.

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne et professeure associée à l’UQAM

Pour certains, ce sera par le magasinage, pour d’autres, par l’alcool ou le jeu en ligne.

Mais comme s’acheter une robe n’est pas un besoin psychologique fondamental, le bonheur est de courte durée. Rapidement, on pense au prochain achat.

L’industrie de la mode est construite pour façonner le désir. « C’est la même recette, toujours, d’un détaillant à l’autre. Chaque semaine, notre job, c’est de créer l’envie de quelque chose de nouveau », dit Valérie Vedrines, fondatrice de Masse critique, un collectif qui travaille à réduire l’empreinte socio-environnementale de l’industrie des communications au Québec. Après avoir travaillé pendant plus de 20 ans en marketing, dont 15 chez de grands détaillants de mode, elle a quitté ce milieu qui entrait en profonde contradiction avec ses valeurs.

Les périodes de soldes lui causaient un malaise. Dans une année sans magasinage, c’est une tentation de plus à laquelle il faut résister. Notamment lors du Vendredi fou. « Le Black Friday, c’est rendu une guerre de volume d’achats, constate Valérie Vedrines. Ce n’est plus une guerre de bénéfices. Dans des entreprises où j’ai été, la semaine Black Friday représentait 25 % des ventes de l’ensemble de la ligne. C’est colossal. »

Cette expérience m’aura fait réaliser que même si on se désabonne de toute infolettre, qu’on nettoie ses réseaux sociaux, qu’on évite autant que possible les centres commerciaux et qu’on essaie de ne pas succomber à cette nouvelle tendance qui s’affiche à tous les coins de rue, contrer le désir n’est pas simple.

Se vêtir autrement

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Si une année sans magasiner permet de revisiter sa garde-robe, elle est aussi l’occasion d’explorer d’autres modes de consommation qui n’impliquent pas toujours un échange d’argent. Les options sont de plus en plus nombreuses, bien que l’offre reste plus abondante à Montréal qu’en région.

La location pour les occasions spéciales

Voilà 10 ans que je n’avais pas assisté à un mariage. Il y en a eu deux au calendrier pendant l’année de ce défi. Des quatre mariages auxquels j’avais assisté auparavant, deux fois j’ai mis la même robe. Deux autres fois, j’ai acheté une robe que je n’ai jamais reportée. Quand on n’a pas une vie mondaine active, les mariages sont une grande source de gaspillage vestimentaire. C’est pourquoi je me suis tournée vers la location.

Partant du constat que les femmes portent de moins en moins la même tenue de soirée deux fois, une tendance solidifiée par les réseaux sociaux, Sarra Ghribi a fondé en 2012 Loue 1 Robe/Loue 1 Tux, qui propose 1300 robes de tailles XXS à XXXL.

Si on ne compte pas porter une robe plus d’une fois et qu’on cherche du moyen ou haut de gamme, la location peut s’avérer économique. Il en coûte entre 50 $ et 500 $, nettoyage inclus, pour une robe d’une valeur de 150 $ à 5000 $. Pour les hommes, louer un habit coûte 130 $ et un smoking, 280 $, ce qui comprend souliers, ajustements, nettoyage, accessoires et assurances.

D’autres entreprises québécoises offrent un service de location de robes de soirée ou de vêtements, notamment Maison LPRN, Chic Marie ou Belle & Belly et Livia Maternité.

  • Sarra Ghribi, fondatrice de Loue 1 robe/Loue 1 Tux, conseille une cliente.

    CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Sarra Ghribi, fondatrice de Loue 1 robe/Loue 1 Tux, conseille une cliente.

  • Les femmes portent de moins en moins la même tenue de soirée deux fois. La location peut donc s’avérer économique.

    CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Les femmes portent de moins en moins la même tenue de soirée deux fois. La location peut donc s’avérer économique.

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Les surplus des uns font le bonheur des autres

L’échange a été ma planche de salut. Je suis membre depuis 2019 du Shwap Club où je vais tous les deux ou trois mois. Un an auparavant, Annette Nguyen, avocate de formation, avait lancé à Montréal ce grand club d’échange, auquel près d’un millier de femmes participent.

Les espaces du Shwap, situés dans les quartiers Saint-Henri, Mile-Ex et Verdun (friperie pour enfants), sont aménagés comme des boutiques, avec salles d’essayage. Comme une friperie, sauf qu’on ne trouve sur les vêtements aucune étiquette de prix. L’accès y est réservé aux membres, moyennant un abonnement annuel (115 $). Chaque pièce apportée et acceptée donne droit à un crédit à troquer contre une autre pièce choisie en magasin.

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Annette Nguyen, fondatrice du Shwap Club

Pour Annette Nguyen, c’était sa façon de s’attaquer au gaspillage vestimentaire. Mais le modèle n’est pas parfait. Étant le reflet de ce que ses membres consomment et désirent consommer, le Shwap Club a beaucoup de pièces de mode rapide. Il est tributaire des tendances aussi. « C’est vraiment ce qui est de plus épineux dans le modèle d’affaires, reconnaît Annette Nguyen. On est une solution de rechange à la fast fashion, mais en même temps, on l’encourage en suivant cette tendance qui rend tous nos vêtements désuets très rapidement. Je n’ai pas encore trouvé une solution magique à ça. »

Les clubs d’échange sont encore rares au Québec, mais ils essaiment ici et là. Outre Montréal, on en trouve un à Longueuil (Club Favie), à Québec (Boutique Entre nous Écochange) et à Sherbrooke (Club Le Garde-Robe).

Seconde main, seconde vie

Il ne faut plus se rendre dans de sombres sous-sols d’église pour trouver des vêtements d’occasion. Ils sont partout : dans les friperies commerciales, les organismes à vocation sociale, sur Marketplace et les applications et sites de revente tels que Vinted, Bon magasinage et Upcycli.

Parce qu’ils sont très accessibles et que certaines plateformes de revente poussent à la surconsommation, j’ai décidé d’écarter les vêtements d’occasion à mi-parcours de ma démarche. Mais pour quiconque souhaite mieux consommer, le marché d’occasion est une voie vers laquelle se tourner.

Le 25 novembre 2022, jour de Vendredi fou, la journaliste mode Lolitta Dandoy et la styliste Gerardine Jeune, connue sous le nom de Mlle Geri, organisaient une vente de leurs vêtements dans un local des Cours Mont-Royal. De très belles pièces, triées sur le volet. Passionnées de mode, elles achètent principalement d’occasion, et cela, depuis plusieurs années.

  • La styliste Gerardine Jeune, connue sous le nom de Mlle Geri

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

    La styliste Gerardine Jeune, connue sous le nom de Mlle Geri

  • La journaliste mode Lolitta Dandoy

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    La journaliste mode Lolitta Dandoy

  • Le 25 novembre dernier, Mlle Geri et Lolitta Dandoy ont organisé une vente de vêtements d’occasion dans un centre commercial.

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    Le 25 novembre dernier, Mlle Geri et Lolitta Dandoy ont organisé une vente de vêtements d’occasion dans un centre commercial.

  • Plusieurs de leurs pièces personnelles, souvent dénichées en friperie, ont été vendues.

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    Plusieurs de leurs pièces personnelles, souvent dénichées en friperie, ont été vendues.

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« J’ai vraiment beaucoup de vêtements, admet Lolitta Dandoy. Ça peut paraître contradictoire avec l’idée de ne pas surconsommer et j’en suis bien consciente. […] Mais j’aime bien croire que ce sont toutes de belles pièces qui ne vont jamais se retrouver à être jetées. »

As-tu ça, toi ?

« Quand tu as vécu l’emprunt dans une sphère de ta vie, ça vient ouvrir des portes, constate Alexandra Graveline, qui a relevé le défi d’une année sans magasiner en 2019. Tu réalises que : “ah, j’ai une occasion, je pourrais demander à une amie si elle a une belle robe dans sa garde-robe”. Et inversement, elle va venir vers moi quand elle aura besoin. Ça remet beaucoup en question le besoin de posséder et d’acheter des objets. »

Durant mon année, j’ai principalement utilisé l’emprunt (et le don !) pour mon fils. Collègues et amis m’ont gentiment refilé des chaussures, une casquette, des chandails et des pantalons. Il suffit parfois de demander !

La sobriété en héritage

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« Achetez moins. Choisissez bien. Faites durer. » C’était l’un des mantras de la grande designer de mode britannique Vivienne Westwood, morte en décembre 2022. Et c’est assurément l’héritage que laisse une année sans magasiner. Se placer en retrait de la société de consommation permet d’y revenir avec un regard transformé.

« L’année sans shopping pour moi a eu un impact sur tout, réfléchit Alexandra Graveline. Tu réalises que posséder un objet, c’est peut-être surévalué […] Une année sans shopping, c’est l’occasion de dire : stop, de consommer moins, de requestionner ses choix et de mettre un frein à ce gaspillage vestimentaire. »

« J’aime beaucoup cette expérience, affirme la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier. De prendre conscience des mécanismes [qui nous incitent à consommer] nous redonne une forme d’autonomie. C’est une façon de reprendre un certain contrôle. »

Comme moi et comme toutes celles qui ont entamé cette démarche et avec qui je me suis entretenue au cours de la dernière année, la fin du défi n’a pas été suivie d’une virée au centre commercial. Les prochains achats seront plus réfléchis, plus conscients.

Avant de faire un achat, je me pose toujours ces questions. Est-ce que c’est multi-usage ? Est-ce que je peux le réparer ? Est-ce que je peux l’entretenir ? Est-ce que c’est quelque chose fait pour durer et qui va s’agencer à mon style ?

Alexandra Graveline

Mais, même pour les consommateurs les plus avisés, il est difficile de s’y retrouver. Flairant leur appétit pour des produits fabriqués localement et plus respectueux de l’environnement, les entreprises se sont mises à communiquer abondamment sur les vertus, prétendument souvent, écoresponsables de leurs produits.

« C’est très difficile pour le commun des mortels de naviguer là-dedans et d’avoir la bonne information, déplore la designer montréalaise Elisa C-Rossow, qui conçoit des vêtements intemporels et haut de gamme. Il y a énormément de greenwashing, de fausse transparence. Si tu n’as pas un œil extrêmement aiguisé, tu te perds. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Elisa C-Rossow, designer montréalaise

Le premier but de ma vie, c’est l’éducation, ce n’est pas faire du linge. Mon linge noir et blanc, c’est un véhicule de messages. Je veux que les gens comprennent la vraie valeur d’un vêtement.

Elisa C-Rossow, designer montréalaise

Au bout du compte, c’est notre relation complète aux vêtements qu’il faut revoir, défend-elle. « Si les vêtements étaient deux fois plus chers, on ne vivrait pas sous cette abondance, avance de son côté Janie-Claude Viens, agente de développement en transition écologique à Concertation Montréal. Quand un t-shirt coûte le même prix qu’un sandwich… C’est un méchant changement d’habitude que de débourser plus cher pour un vêtement. »

Certaines personnes ne pourront jamais s’offrir un chandail à 150 $, mais beaucoup le pourraient en achetant moins, croit Elisa C-Rossow. Selon les données les plus récentes de Statistique Canada, les ménages canadiens ont dépensé en moyenne 3344 $ pour des vêtements en 2019. « Il y a un dicton qui dit : “I’m too poor to be cheap” (Je suis trop pauvre pour être économe, NDLR), rappelle la designer. On aurait un meilleur pouvoir d’achat sur nos vêtements si on consommait de meilleure façon. »

Repenser le rapport à ses vêtements, c’est aussi bien les entretenir et penser à les réparer lorsqu’ils sont abîmés, un savoir-faire qui s’est perdu, constate Marie-Eve Faust, professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM. « Avant, les gens l’avaient parce qu’ils avaient grandi avec, ils savaient coudre un bouton. Souvent, nos étudiants arrivent et ne savent pas. »

Au cours de la dernière année, j’ai tricoté, reprisé, rapiécé, inspirée par des vidéos de réparation visible (visible mending), lesquelles, depuis que je ne laisse plus d’articles en plan dans mon panier d’achat en ligne, ont supplanté les publications de marques de mode sur mes réseaux sociaux. Un panier d’ailleurs qui, malgré la fin du défi, est resté vide. Mais pour combien de temps encore ?

En savoir plus
  • 40 kg
    Quantité de textiles neufs consommés par Québécois par année (secteurs commerciaux et industriels compris), soit le poids moyen de deux garçons de 6 ans.
    Source : rapport Circularité dans l’industrie du textile au Québec, MUTREC, 2020
    6 %
    En 2019-2020, les produits textiles représentaient 6 % des matières se retrouvant dans les lieux d’enfouissement ou à l’incinération au Québec. Un chiffre qui a doublé par rapport à 2011.
    Source : Recyc-Québec
  • 2700 litres
    Quantité d’eau nécessaire pour la production d’un t-shirt en coton, soit l’équivalent de ce que boit une personne pendant deux ans et demi.
    Source : Institut UNESCO-IHE pour l’éducation relative à l’eau