(Paris) Tout a été écrit sur la musique de Kurt Cobain, leader de Nirvana disparu il y a 30 ans, mais pas sur son look, ou plutôt son anti-look, copié, récupéré : l’image lui a échappé, comme tant d’autres choses.

Déflagration mondiale : le clip de Smells like teen spirit, rampe de lancement du deuxième album du trio, Nevermind, crève les écrans télé en 1991. Cobain y arbore deux t-shirts l’un sur l’autre, achetés en seconde main.

« Il a grandi dans la pauvreté et les superpose pour masquer sa maigreur qui l’a longtemps complexé, alors qu’il était beau garçon », dépeint pour l’AFP Charlotte Blum, autrice de Grunge, jeunesse éternelle, aux éditions Epa.

Ces vêtements restent dans l’imaginaire collectif. Comme d’autres portés plus tard, entre lunettes mouche ou cardigan fatigué de la fameuse émission télévisée MTV Unplugged diffusée fin 1993. Cardigan vendu aux enchères 334 000 dollars en 2019.

« C’était un anti-look, un peu déglingué, mais ce mec est un paradoxe, il y prêtait attention », brosse pour l’AFP Marc Dufaud, auteur du récent Le monde fabuleux de Kurt Cobain aux éditions du boulon.

Subversion

Ce que confirme Charlotte Blum : « S’il y a une personne qui espérait percer, c’est Kurt Cobain. Il veut devenir rock-star, pas pour être riche, mais pour ne plus manquer d’argent ».

Pour le tournage de Smells like teen spirit, le groupe recrute des figurants par le biais d’un flyer – internet n’existe pas – en insistant : « Aucun vêtement avec des marques ou des logos s’il vous plaît ».

Mais le succès emporte tout. Le grunge devient une marque et Cobain sa silhouette, à son corps défendant. « Malheureusement, ça ne se maîtrise pas quand tu deviens un phénomène, une icône », souligne Charlotte Blum. « Cobain voulait devenir une vedette, mais il a été dépassé alors qu’il espérait faire les choses graduellement, comme il l’entendait. Là, ce n’est pas juste un album qui marche, ça définit un genre », prolonge Marc Dufaud.

Marc Jacobs, grand couturier, dessine à l’époque une collection inspirée par ce mouvement. « On a toujours tapé sur la mode, mais elle regarde toujours la rue pour créer. L’ironie cruelle, c’est d’emprunter à la pauvreté pour faire du luxe », éclaire la spécialiste de la sphère grunge et de son épicentre, Seattle.

Cobain a pourtant tenté la subversion par le vêtement. En une du magazine Rolling Stone, son t-shirt mentionne « Corporate magazines still suck. Le chanteur et guitariste choisit aussi ses t-shirts pour promouvoir des artistes à la marge qu’il chérit, comme le tourmenté Daniel Johnston.

Étiquette

Et Cobain apparaît en une du magazine The Face en robe bleue à fleurs pour dénoncer le virilisme ambiant des groupes à guitares. Le chanteur le fait savoir : « Si certains d’entre vous détestent les homosexuels, les personnes de couleur ou les femmes […] ne venez pas à nos concerts ».

Le message a traversé les décennies. Une robe a été portée récemment par les artistes américains Kid Cudi ou Post Malone. Un des guitaristes du groupe punk britannique Idles se produit sur scène aujourd’hui dans cette tenue, avec tignasse et moustache de guerrier wisigoth.

« Ça veut dire que le monde n’a pas tant changé que ça en 30 ans, le problème est qu’on parlait plus du cliché des cheveux sales du grunge que de groupes féminins comme L7 qui défendaient la planification familiale », regrette Charlotte Blum.

Cobain n’aura de cesse d’arracher toute étiquette, y compris celle du laisser-aller, s’affichant avec humour en lamé signé Jean Paul Gaultier pour un clip.

En février 1994, Nirvana joue live dans l’émission de télé française Nulle part ailleurs, en chemise blanche, veston et cravate noirs.

Pat Smear, guitariste d’appoint en concert, ôte rapidement ses chaussures de ville, s’y sentant à l’étroit. Cobain étouffe, lui, dans son existence. Il se suicide le 5 avril 1994, à 27 ans.