« Bonjour, Rose-Aimée, je suis une artiste en arts visuels qui travaille depuis longtemps sur l’idée d’habiter. J’aimerais connaître votre avis sur ce qu’est la Maison. »

Si j’aime presque toujours lire vos courriels, je dois avouer que celui-là a particulièrement piqué ma curiosité. Google m’a appris que la lectrice qui me l’avait envoyé, Michèle Assal, était une artiste prolifique. J’ai rapidement été touchée par les maisons qu’elle décline sous plusieurs formes depuis près de 40 ans.

Quelques jours plus tard, je la retrouvais dans son atelier. L’espace était inondé par la lumière du Nord, celle de « la clarté parfaite », selon l’artiste.

« C’est quoi, pour toi, une maison ? »

Je n’ai pas eu le temps de poser la première question. Surprise, j’ai réfléchi un instant. C’est un refuge. C’est là où je suis en sécurité, où je peux me déposer. C’est chez moi, mais c’est aussi chez mes sœurs.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Une maison, c’est un nid.

« C’est le nid », a glissé celle qui peint, sculpte, photographie, détourne du mobilier et crée des installations. Puis, elle a pointé une œuvre près d’elle. L’estampe numérique présentait une maison dans un nid. Un mélange de photo et de dessin. La définition de ce que j’essayais de mettre en mots.

J’ai retourné la question à Michèle Assal.

Pour moi, la maison, c’est ce qui fait qu’on est bien.

Michèle Assal

« Mon premier souvenir de bien-être extraordinaire, c’est dans le grenier de mes grands-parents. Une petite porte menait à un espace dans le mur. Le sol y était couvert de ripe de bois et les murs étaient bleus. Je passais mes après-midis dans le ciel ! C’est ma première référence à la maison et au bonheur d’avoir une atmosphère, d’avoir quelque chose qui me mettait dans un certain état. Cet état, maintenant, je le porte en moi », explique l’artiste.

J’ai aimé l’idée. Et si, de demeure en demeure, on déménageait avec soi des sensations ?

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Selon l’artiste Michèle Assal, on porte sa maison en soi.

« La maison rêvée est composée de partout où on a eu de belles expériences », croit Michèle Assal. C’est une conclusion qu’elle doit au philosophe français Gaston Bachelard. L’artiste a commencé à s’y intéresser alors qu’elle entamait une maîtrise en arts visuels et médiatiques. Bachelard est devenu « un guide », un penseur qui lui apprenait à nommer ce qu’elle ressentait.

L’ancienne enseignante – elle a travaillé pendant 20 ans au cégep Édouard-Montpetit – m’a donné un devoir : je devais absolument lire La poétique de l’espace, l’ouvrage qui lui avait permis de saisir que « l’idée de la maison, on la porte en nous ».

Je me suis exécutée dès que je suis rentrée chez moi (et je ne l’ai pas regretté). En s’intéressant à la manière dont de grands auteurs ont décrit la maison – du sous-sol au grenier en passant par les coffres et les armoires –, Bachelard avance que « l’image de la maison devien[t] la topographie de notre être intime ».

Pour lui, la maison est « un instrument d’analyse pour l’âme humaine », notamment parce qu’elle abrite nos songes : « La maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. »

Si le foyer abrite nos rêveries, il les habite aussi : « […] même lorsqu’on n’a plus de grenier, même lorsqu’on a perdu la mansarde, il restera toujours qu’on a aimé un grenier, qu’on a vécu dans une mansarde, écrit Bachelard. On y retourne dans les songes de la nuit. »

Permettez-moi de me gâter avec une dernière citation, svp : « En nous souvenant, des “maisons”, des “chambres”, nous apprenons à “demeurer” en nous-mêmes. »

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Michèle Assal pratique l’art de la gravure, entre autres.

Ce n’est pas un hasard si les maisons que crée Michèle Assal ne sont presque jamais dotées de portes et de fenêtres. L’artiste veut que les gens qui les regardent puissent y projeter ce qu’ils souhaitent. Rien ne nous laisse voir ce qui se déroule à l’intérieur, il faut donc recourir au nôtre.

C’est ce qui fait de ces œuvres des autoportraits. Non seulement celui de Michèle Assal, mais aussi celui des personnes qui choisissent de les rapporter chez elles. Ils s’y sont reconnus.

Les petites maisons de Michèle Assal sont des coffres dans lesquels déposer nos souvenirs, nos fantasmes, le rapport qu’on entretient avec les toits qui nous ont accueillis, au fil du temps, et qui ont donné naissance à ce qu’on estime aujourd’hui être « chez nous ». Cet espace, ou cet état d’esprit, si rassurant.

Bouleversée par les guerres qui déchirent présentement le monde, Michèle Assal crée d’ailleurs depuis peu des maisons qui se déplacent. En pensant aux gens qui doivent quitter leur demeure pour survivre, elle s’est mise à imaginer des logis qui pourraient marcher à leurs côtés.

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Michèle Assal dans son « atelier »

On oublie souvent à quel point on est chanceux d’avoir encore un toit.

« Et pourquoi les oreilles ? »

La question me brûlait les lèvres depuis mon arrivée. Sur les murs de l’atelier, tout plein de maisons, mais aussi quelques représentations d’une oreille.

C’est parce qu’il y a des maisons où on nous écoute et d’autres où on refuse de nous entendre, m’a répondu Michèle Assal. C’est aussi parce qu’elle aime dire que son titre, c’est « artiste avec des oreilles ».

J’ai regardé l’heure. Ça faisait près de 90 minutes que je papotais. Michèle honorait très certainement son rôle.

* * *

(J’ai menti en disant que je citais pour une dernière fois La poétique de l’espace de Gaston Bachelard. Je veux terminer avec ce passage, parfaitement d’occasion :

« De toutes les saisons, l’hiver est la plus vieille. Elle met de l’âge dans nos souvenirs. Elle renvoie à un long passé. Sous la neige la maison est vieille. »)