Je sortais d’un rendez-vous. Puisque c’était un parfait matin printanier, j’ai décidé de marcher jusque chez moi. J’ai fait un détour par le parc à chiens (source de joie gratuite) et j’ai croisé une maison avec la plus mignonne des corniches.

Ma série sur les demeures intrigantes me donne le droit de sonner où je veux, mais me donne-t-elle le droit de le faire à 10 h un samedi matin ? J’hésitais quand j’ai aperçu du mouvement à la fenêtre.

Julien Lacheré a entrebâillé la porte et demandé à sa conjointe si elle était à l’aise de me recevoir en pyjama… Leur fille de presque 1 an, elle, m’a envoyé la main avec enthousiasme.

« Entrez, ça nous fait plaisir ! »

Aussitôt, deux surprises : 1) Dailys Iglesias était plus lumineuse en pyjama que je ne le serai jamais en robe de bal ; 2) l’intérieur était très moderne pour une bâtisse construite en 1900. Elle a eu droit à de bonnes rénovations, m’a expliqué Julien Lacheré en allant chercher un album de photos relatant les transformations du lieu.

PHOTO FOURNIE PAR JULIEN LACHERÉ

La corniche, avant sa restauration

Si on y trouvait jadis trois logements, la maison a été convertie en unifamiliale en 1996. Elle avait tant manqué d’amour qu’on avait failli la raser… D’intenses travaux de structure ont été nécessaires pour préserver cette belle du siècle dernier. Et c’est en 2010 que de nouveaux propriétaires ont restauré la corniche qui fait aujourd’hui sa signature.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La corniche, signature de cette maison du Plateau

Comme moi, Dailys Iglesias l’a remarquée tandis qu’elle se baladait, il y a quelques années. La bâtisse est devenue sa préférée du quartier : « Je voyais la lumière qui entrait par les fenêtres et je trouvais ça magnifique… Je viens des Caraïbes, c’est un critère important pour moi ! »

Dailys est native de Cuba. Là-bas, elle était psychologue. Elle termine maintenant une maîtrise en psychoéducation. Julien est Français et établi au Québec depuis plus d’une décennie. Il travaille en droit des technologies. Ensemble, ils discutent souvent de ce qui les a gardés ici.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Julien Lacheré et Dailys Iglesias devant leur maison de la rue Marie-Anne avec le chien Togo, qui nous observe à travers la vitre de la porte d’entrée.

« Moi, c’est un sentiment de liberté que je ne trouve pas ailleurs, m’a confié Dailys Iglesias. Le Québec est une société méritocratique. Si tu fais des efforts, tu peux faire des choses. C’est vrai à Cuba aussi, mais la situation est beaucoup plus précaire… C’est difficile de se projeter dans le futur. »

Julien Lacheré a quant à lui flanché pour le quotidien montréalais : « Ce n’est pas une ville qui vous surprend comme Barcelone ou Paris. C’est quand on la vit tous les jours qu’on comprend comme elle est apaisante. »

Puis, Dailys y est allée d’un exemple concret : « Les gens se foutent de ce que les autres portent. C’est comme si tout le monde vivait sa vie comme il le voulait. On se sent connectés avec les gens plutôt qu’avec les choses. »

On entre dans une maison en pensant qu’on va en savoir plus sur son histoire, mais on a finalement droit à un rappel de pourquoi il fait bon vivre chez nous…

Un son a interrompu notre conversation. Togo venait de projeter sa balle contre la porte vitrée de la cuisine. Le chien était dans la cour, mais il n’entendait certainement pas laisser un mur l’empêcher de jouer avec nous…

Un film mettant en scène la famille parfaite.

« Comment vous êtes-vous rencontrés ? »

Le couple a ri nerveusement avant de cracher le morceau : Tinder.

« Ne soyez pas gênés, vous allez donner espoir à tellement de gens ! »

Leur histoire a débuté en 2018, puis les choses se sont rapidement enchaînées : maison, chien, bébé.

« Je suis tombée enceinte pendant mes études, mais on s’est dit : ‟Pourquoi pas ?”, m’a confié Dailys Iglesias. Quelqu’un qui fait le choix de quitter un pays est quelqu’un qui ose prendre des risques… Même si on aime planifier, ce n’est pas la façon dont on vit ; on se dit tout le temps : ‟Pourquoi ne pas essayer ?” »

Craignant qu’elle ne réussisse à me convaincre de fonder une famille, j’ai redirigé la discussion vers l’immobilier… Comment ont-ils donc mis la main sur la maison chouchou de Dailys ?

Un beau hasard ! Ça faisait un an que le couple cherchait et faisait des offres d’achat systématiquement refusées. Puis, la demeure a été mise en vente.

Aussitôt qu’ils y sont entrés, leur coup de foudre s’est confirmé.

« Il y avait un sentiment de paix ici, m’a expliqué Dailys. C’était chaleureux. En découvrant l’histoire des propriétaires, je me suis dit que c’était leur énergie qu’on ressentait. »

L’un était universitaire spécialisé en histoire, l’autre cadre à la Ville de Montréal. Tous deux étaient décédés.

« Il y avait une histoire ici, a ajouté Julien. On le sentait tout de suite. »

C’était même spirituel, selon Dailys : « Quand on a su que notre offre d’achat avait été acceptée, on n’arrivait pas à y croire ! C’est comme s’il fallait que ce soit cette maison-là. »

Chez le notaire, le couple a appris que les anciens propriétaires léguaient les revenus engendrés par la vente à un important organisme culturel de la métropole… Un cadeau à la ville d’adoption de Dailys et Julien.

Un autre beau hasard.

Et s’ils sont tombés amoureux d’une maison grâce à l’énergie laissée par ceux qui l’ont habitée avant eux, qu’espèrent-ils que les prochains acheteurs ressentent en y entrant ?

« Qu’on a essayé de mettre de l’amour, a spontanément répondu Julien. Tant dans la maison que dans notre quotidien… Je n’ai jamais été si heureux de rentrer chez moi que depuis qu’on est ici. »

Parlant de la banalité des jours et des hasards heureux, voici comment s’est terminée notre rencontre :

« Vous êtes arrivée au bon moment ! On revenait tout juste du parc à chiens.

— C’est drôle, j’ai remarqué votre maison parce que j’ai justement décidé de faire un détour par le parc à chiens, avant de rentrer chez moi.

— Ce qui est drôle, c’est qu’en revenant, nous, on a fait un détour pour acheter ça… » 

Julien a souri, il s’est levé, puis il a déposé un pot de confiture à la rose devant moi.