« Avez-vous déjà rêvé de vivre un jour avec vos ami·es, dans un immeuble où vous auriez chacun·e votre appartement ? Vous rêvez peut-être de souper ensemble une fois par semaine, d’avoir une grande cour où pourraient s’amuser les enfants que tout le monde participerait à surveiller. [...] Je suis heureuse de vous l’apprendre : vous rêvez de vivre en communauté intentionnelle. »

Gabrielle Anctil sait rendre son mode de vie attirant ! Cet extrait est tiré de son essai, Loger à la même adresse, paru le 15 mars aux éditions XYZ. La journaliste y aborde les joies et défis d’habiter avec de nombreuses personnes... Mais on est loin des clichés de colocation étudiante, ici. Gabrielle et ses sept colocs partagent tout de manière équitable : l’espace, les comptes, la nourriture, les objets, comme les décisions.

Vivre en communauté intentionnelle, c’est choisir de s’entourer de gens avec qui on partage des valeurs, mais aussi des ressources. Ce mode de vie différent est un contrepoids à la précarité financière, à l’isolement, à la crise climatique et au difficile accès au logement qui caractérisent notre époque, estime Gabrielle Anctil... Plus encore, il serait agréable !

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Un souper de colocs à la Cafétéria : Gabrielle Anctil, au bout de la table, et Claudelle, qui apprécie dans ce modèle la possibilité de construire quelque chose à plusieurs

Concrètement, les huit adultes de 28 à 36 ans habitent dans cinq appartements voisins qui forment « la Cafétéria ». Chacune des unités a des airs collectifs – chambre d’amis, gym ou salle de lavage, par exemple. L’appartement au rez-de-chaussée du plex dans lequel se déploie la majorité de la Cafétéria comprend un grand salon et une cuisine commune.

C’est là que j’ai retrouvé Gabrielle et quatre de ses colocataires pour un de leurs soupers de groupe. Deux fois par semaine, deux personnes ont la tâche de nourrir toutes les autres (lunchs du lendemain inclus). La charge mentale et ménagère s’en trouve répartie sur toutes les épaules. Le rêve ! (Mais bon, devoir laver des chaudrons format XL dans un évier de taille ordinaire, ça, c’est un peu moins le rêve...)

Ce mardi-là, Maxe et Claudelle avaient préparé des bols de riz au tofu magique. J’en ai profité pour me régaler et pour tenter de comprendre à qui s’adresse ce mode de vie...

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Maxe loge à la Cafétéria depuis cinq ans et Mariane, depuis une décennie.

« Beaucoup de gens croient que ce n’est pas pour eux, mais les sacrifices que ça prend sont moins grands qu’ils le pensent », répond d’emblée Gabrielle Anctil, qui a cofondé la Cafétéria et qui y réside depuis 14 ans. « Mais c’est vrai que ça demande beaucoup d’apprentissages, surtout des apprentissages d’intelligence émotionnelle. Ça exige d’être explicite par rapport à ce que tu as envie de faire et on n’est pas toujours très bons là-dedans... »

Il faut savoir non seulement exprimer ses besoins, mais aussi se remettre en question quand on empiète sur ceux des autres.

Des fois, on se fait dire qu’on a fait quelque chose tout croche et on doit l’accepter. Ce n’est vraiment pas facile, mais c’est une compétence essentielle que tout le monde devrait développer, à mon avis.

Gabrielle Anctil, cofondatrice de la Cafétéria et qui y réside depuis 14 ans

On devine que vivre en communauté intentionnelle exige une certaine maturité et beaucoup de flexibilité.

« On a un peu moins de droit de regard sur la déco ou sur ce qui traîne, admet Maxe, qui loge à la Cafétéria depuis cinq ans... Il y a des compromis à faire, mais ça t’apporte plus que ce que tu peux penser. Il y a tout un réseau qui se construit autour de toi ! »

Justement, est-ce qu’habiter avec autant de gens ne gruge pas l’énergie ? Anaïs, locataire depuis quatre ans, me corrige. Pour elle, vivre en communauté intentionnelle est la parfaite stratégie pour créer des relations : « Je suis très introvertie et je passe beaucoup de temps chez moi... Si je veux rencontrer des gens, le mieux, c’est que les gens soient chez moi ! »

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Gabrielle Anctil publie le livre Loger à la même adresse.

Dans Loger à la même adresse, Gabrielle Anctil cite d’ailleurs des recherches qui démontrent que ce mode de vie sied particulièrement bien aux introvertis ! En la lisant, on comprend qu’il est aussi une option intéressante pour les écoanxieux. Je la cite : « [...] plus de 80 % de la population canadienne vit en ville [Statistique Canada, 2018]. Pour faire face aux problèmes de l’avenir, il faut repenser notre manière de partager cet espace restreint, sans contribuer à l’étalement urbain. »

Elle poursuit en expliquant que la Cafétéria utilise deux machines à laver pour cinq logements ; qu’il y a ici des gens qui savent à peu près tout réparer (vélo comme petits électros) ; et que la nourriture est achetée en vrac, ce qui réduit les emballages... Alors que les maisons sont toujours plus grandes, sa gang opte pour une manière de vivre qui lutte contre les défis auxquels on fait collectivement face.

Normal, donc, que l’idée fasse de plus en plus jaser... Pourtant, elle est loin d’être neuve, comme le souligne Gabrielle Anctil dans son essai. Bien avant les hippies ou les communautés religieuses, des gens se sont regroupés pour vivre selon leurs propres idéaux.

En fait, la première communauté intentionnelle connue dans le monde occidental remonterait à 525 avant notre ère ! Alors, comment expliquer qu’on associe seulement ce mode de vie aux étudiants, aujourd’hui ?

Les colocataires s’enflamment en entendant ma question. La pression de la monogamie, l’idéal de la famille nucléaire et les chemins tracés d’avance qui nous mènent directement vers le quotidien à deux sont tous cités comme coupables...

Ça prend du culot pour choisir une autre voie, mais pour le groupe, ça se révèle payant.

« Je suis habituée de vivre dans de grosses colocations, mais il y a quelque chose de plus ici, me dit Claudelle. Une volonté de vivre et de construire quelque chose ensemble. »

Parlant de l’attention qui est portée aux autres, le prix de la meilleure réplique du souper revient à Mariane, qui vit à la Cafétéria depuis une décennie : « On aime dire que c’est comme si on était en relation polyamoureuse avec tous les gens de la Cafétéria ! »

Charmant – et important –, tout ça.

Loger à la même adresse – Conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté

Loger à la même adresse – Conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté

XYZ

192 pages