Ce n’est pas la meilleure journée pour faire une marche.

Il est 8 h du matin, il pleut et on gèle. Joannie Lafrenière m’accueille pourtant avec un sourire radieux et un regard joueur.

« As-tu envie de déjeuner à la New Casa de la Pizza ?

— Mets-en, j’adore cet endroit ! »

À quelques jours du dévoilement de son exposition HOCHELAGA au musée McCord Stewart, j’ai demandé à la photographe et réalisatrice de m’offrir un tour guidé du quartier qu’elle habite depuis 18 ans. Faut dire que je le connais déjà plutôt bien, pour y avoir résidé une bonne décennie… Mais contrairement à Joannie, je n’ai pas été témoin de son récent embourgeoisement.

Avant de casser la croûte, elle propose de me présenter Michel Contant, un des hommes qui occupe une belle place dans son exposition. Volontiers !

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Michel est propriétaire d’un salon de coiffure dans Hochelaga.

Je n’avais jamais remarqué le salon de coiffure de la rue La Fontaine. Joannie, elle, l’a découvert tandis qu’elle marchait au petit matin. Quand elle a vu le journal posé près de la porte de ce commerce étonnamment ouvert aux aurores, elle a décidé d’y entrer pour lire son horoscope.

Michel était lui aussi Capricorne. Une belle relation venait de naître.

L’homme de 75 ans exploite son salon depuis 57 ans, et ce, dès 5 h 30. Sa clientèle est composée d’ouvriers qui travaillent de nuit, de pompiers, de chauffeurs de taxi et de fidèles venus d’un peu partout dans la province.

Pour Joannie Lafrenière, capter ce lieu et sa faune, c’est garder des traces d’une mémoire vouée à se perdre.

« Ça m’intéresse de documenter des choses qui se terminent tranquillement. Michel ne pourra pas couper des cheveux pour toujours et il ne va pas partir qu’avec ses ciseaux, mais aussi avec un patrimoine social incroyable… Soit les souvenirs de tous les clients venus se déposer dans son commerce. »

L’artiste est attachée à la communauté d’Hochelaga-Maisonneuve, c’est indéniable. Quand elle s’est installée dans le coin, à l’âge de 21 ans, elle a aussitôt été charmée par son tissu social qui favorise le soin des autres. « Le peu que tu as, tu vas le partager avec ton voisin », résume-t-elle.

Tandis qu’on laisse Michel Contant vaquer à ses occupations, Joannie me confie que lorsqu’elle voit une clôture séparer un immense projet immobilier en construction et un HLM, elle s’inquiète pour l’avenir du coin.

L’idée, ce n’est pas de dire non à la gentrification, mais de veiller à une cohabitation saine… À ne pas détruire l’âme du quartier.

Joannie Lafrenière, photographe et cinéaste

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Rose-Aimée et Joannie Lafrenière passent devant le parc Jacques-Blanchet.

Joannie s’arrête pour remettre des livres qu’elle a empruntés à la bibliothèque. Je remarque les rénovations qu’on est en train d’apporter au lieu… Le nouveau bâtiment sera aussi immense que lumineux. « C’est une belle mutation, ça ! »

« Il y a plein de belles mutations, répond aussitôt l’artiste. Rien n’est si binaire ! En tant que résidante, la mutation, c’est faire plein de petits deuils… Mais du côté moins sombre, il y a de nouveaux commerces qui ajoutent une pierre à l’édifice, comme la librairie Le renard perché. Plusieurs humains ont envie d’être en relation avec le quartier et de s’y inscrire pour vrai. »

D’ailleurs, elle laisse le soin aux spectateurs de l’exposition HOCHELAGA, qu’on peut aller voir depuis hier, le 31 mars, de se faire une idée sur les changements qui s’opèrent dans le coin. Elle n’est pas là pour leur dire quoi penser, mais pour les emmener à la rencontre de son monde, tant par des photographies que par des installations, des vidéos et de la poésie.

Mauvaise nouvelle : La New Casa de la Pizza n’ouvre qu’à 9 h. Il me semble que, dans mon temps, on pouvait y manger plus tôt… Pas grave, on reprend la promenade Ontario pour se réchauffer à l’Atomic café, une autre institution du quartier.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Joannie Lafrenière, à l’Atomic café

Enfin à l’abri de la pluie, Joannie Lafrenière me tend l’épreuve du livre tiré de son exposition. On y trouve le fruit d’un travail de documentation qui s’est étiré sur trois ans, grâce au Musée McCord Stewart et à son initiative Montréal en mutation.

Le livre s’ouvre sur un vers de Benoit Bordeleau : « Combien de pas reste-t-il à marcher dans ce quartier où la porcelaine est rare et le sommeil fragile ? »

Beau.

Exposition HOCHELAGA par Joannie Lafrenière
  • Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

    PHOTO JOANNIE LAFRENIÈRE, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD STEWART

    Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

  • Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

    PHOTO JOANNIE LAFRENIÈRE, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD STEWART

    Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

  • Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

    PHOTO JOANNIE LAFRENIÈRE, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD STEWART

    Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

  • Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

    PHOTO JOANNIE LAFRENIÈRE, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD STEWART

    Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

  • Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

    PHOTO JOANNIE LAFRENIÈRE, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD STEWART

    Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

  • Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

    PHOTO JOANNIE LAFRENIÈRE, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD STEWART

    Photographie tirée de l’exposition HOCHELAGA

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S’enchaînent des portraits de personnages touchants, tels que Michel Contant, mais aussi Renaud, un réparateur de vélos qui ouvrait sa porte de garage aux gens qui voulaient « remplir leur solitude », comme le dit Joannie. Malheureusement, il a récemment déménagé.

On trouve également des photos de La Québécoise, un restaurant-phare du quartier qui a dû fermer ses portes. Tout comme le Fleuriste Maisonneuve…

« Pourquoi avoir choisi de photographier ce qui n’existerait bientôt plus ? »

Joannie Lafrenière me répond du tac au tac : « Sinon, qui va le faire ? » Elle ajoute qu’elle arrive à voir la beauté dans ce qui est magané ou raboteux.

Justement, ses portraits les plus touchants sont à mon avis ceux de Claude, un ancien militaire qui vivait dans un conteneur aux abords du chemin de fer. Sous le regard de la photographe, l’homme devient magnifique. Vraiment. Pour en découvrir plus sur son parcours (bouleversant), il faut aller voir l’exposition. Vous en dire plus ici ne ferait pas honneur à l’homme. Joannie a tout pensé pour lui rendre le plus beau des hommages.

D’ailleurs, elle est pour qui, cette exposition ?

« Je ne sais pas si Michel est déjà allé au musée, réfléchit Joannie Lafrenière, mais je veux que les gens du quartier viennent et se reconnaissent. Qu’ils voient que c’est aussi pour eux, l’art ! Mais je veux que ce soit circulaire et j’espère que des habitués du musée auront quant à eux envie de se promener dans le quartier pour entrer en contact avec cette humanité-là. »

Selon l’artiste, on gagnerait tous et toutes à approfondir la relation qu’on entretient avec notre ville et ceux qui l’habitent…

« On est interreliés », résume-t-elle simplement.

Hochelaga — Montréal en mutation

Hochelaga — Montréal en mutation

Joannie Lafrenière
Exposition de photographies

Musée McCord Stewart, Jusqu’au 10 septembre 2023

Consultez le site du Musée McCord Stewart