Comment accompagner un être cher qui emménage dans son ultime repaire ?

Autour de moi, les gens vieillissent. Des amis commencent à aider leurs parents dans la recherche d’une demeure mieux adaptée à leurs besoins. Je les devine démunis devant ce vaste chantier qui combine organisation et non-dits.

Je le serais aussi... Comment être là pour une personne qui doit « casser maison » et trouver sa place dans un milieu qui n’a rien à voir avec celui qu’elle a entretenu pendant des décennies, voire toute une vie ? Qui a les mots pour ça ?

Si les déménagements sont parfois signe de renouveau, le symbole associé à celui qui nous mène en résidence pour aînés m’apparaît des moins optimistes.

Est-ce qu’on est en train de préparer nos parents à aller mourir loin de chez eux, loin de nous ?

Cette idée peut générer de la culpabilité chez les proches aidants, même si on sait bien qu’il n’en est rien... Que vient simplement un moment où chacun a besoin d’un logis adapté à sa situation. Que ce n’est pas le rôle d’un enfant que de devenir le parent ou l’infirmier d’une personne qui a besoin de soins particuliers. Qu’il est pour le mieux, ce déménagement.

La question, maintenant, c’est : comment en parler ?

Je l’ai posée à Charles Viau-Quesnel, dont les recherches portent notamment sur la gérontopsychologie et la proche aidance.

PHOTO FOURNIE PAR CHARLES VIAU-QUESNEL

Les recherches de Charles Viau-Quesnel portent sur la gérontopsychologie et la proche aidance.

« Comme pour tout sujet difficile, plus on en parle tôt, meilleur sera le résultat, croit le professeur au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le sujet est tabou. Ce n’est pas nécessairement le déménagement qui nous fait peur, mais tout ce qui le précède. On n’a jamais eu les conversations nécessaires pour nous y préparer... »

Charles Viau-Quesnel souligne qu’on peut d’ailleurs recourir à un médecin de famille ou à un gériatre pour entamer cette réflexion difficile. Et si on préfère le faire soi-même, il existe certaines pistes utiles...

« On peut s’exprimer sur ses besoins, parler au je, dire ce qu’on est prêt à faire ou non à titre de proche aidant, suggère le professeur. On peut aussi aborder les appréhensions les plus fréquentes liées au déménagement, chez l’aîné : la peur de l’isolement, qu’on laisse aller la relation ou qu’un CHSLD soit un mouroir. Si on le voit comme ça, je comprends pourquoi on ne veut pas déménager ! Il faut entendre ces résistances pour parler des activités offertes dans les différents milieux de vie, ce qui peut nous amener à visiter des lieux. »

Et c’est là qu’on a la chance de nourrir le sentiment de pouvoir de la personne qui s’apprête à quitter sa maison. L’expert suggère par exemple de lui demander ce qu’elle souhaiterait avoir près de sa prochaine demeure. Des arbres ? Une piscine ? De l’espace pour marcher ?

On est ici dans un scénario idéal où les moyens financiers et la santé d’autrui permettent de faire de tels choix. La réalité est parfois bien plus triste, mais on peut tout de même favoriser la prise de contrôle de l’être cher.

PHOTO DEJAN MARJANOVIC, GETTY IMAGES

Permettre à l’aîné d’avoir un contrôle sur ses décisions peut faire toute la différence.

Bienveillance et écoute

« Souvent, on est moins flexible en vieillissant, mais on compense avec notre expérience, explique Charles Viau-Quesnel. Une personne de 82 ans est peut-être trop fatiguée pour organiser son déménagement, mais ce n’est pas son premier ! On peut lui demander si elle a des trucs pour bien faire les boîtes ou trouver le bon déménageur. Ça va l’impliquer et la valoriser. »

La plateforme numérique Au fil du temps, conçue par l’Ordre des psychologues du Québec, détaille le processus qui mène des aînés à quitter leur demeure. Les experts y prônent la conversation bienveillante et suggèrent même des questions à lancer pour envisager ce déménagement.

« Maman, aimes-tu vivre seule ? »

Ils y expliquent également que, pour les aînés, les deuils sont multiples. Parmi eux, le fait de quitter un lieu qui les rassure et de devoir se défaire de biens qu’ils aiment par manque d’espace. D’où l’importance des objets familiers.

Si on déménage dans plus petit, il y aura toujours de la place pour un album de photos, un jeté réconfortant ou un souvenir de voyage...

Le fait est qu’il n’existe aucun scénario parfait pour casser maison. Selon Charles Viau-Quesnel, la principale ressource dont on peut rêver pour assurer une saine transition, c’est du temps.

« Dans un monde idéal, on veut avoir du temps pour trouver les ressources nécessaires et elles varient selon la personne qui est devant nous. »

La difficulté, c’est qu’au Québec, les outils offerts aux proches aidants diffèrent selon les régions. Le chercheur recommande donc de contacter le service Info-aidants pour connaître ceux qui s’offrent à notre famille.

Par exemple, Charles Viau-Quesnel estime que la médiation familiale peut être une avenue intéressante, comme ce type de déménagement ravive parfois de vieilles blessures. Après tout, il y est question de finances, de valeurs et d’implication... des sujets qui peuvent diviser la fratrie.

Ici, le luxe du temps permet à chacun d’exprimer ses besoins et de gérer les possibles conflits interpersonnels.

Par contre, l’adaptation ne se termine pas une fois les boîtes de carton vides. Au contraire, Charles Viau-Quesnel a constaté que la détresse des proches aidants qui vivaient avec une personne aînée peut augmenter dans les semaines suivant son déménagement. Cette peine s’explique entre autres par une hausse de la culpabilité (surtout si cette personne nous en veut) et de l’isolement.

On rentre maintenant chaque jour dans une maison vide.

Charles Viau-Quesnel en retient une notion précieuse : « Il ne faut pas se dire que c’est un sprint et que le déménagement est la fin de la course. Il y a tout un travail à faire pour mettre ses limites par rapport au proche et trouver de nouveaux repères. »

Un travail peut-être un peu plus léger lorsqu’on a l’occasion d’en avoir ouvertement parlé...

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