« Quand tu pars tes semis en avril, que ça finit par pousser en septembre et que tu ne récoltes qu’une tomate, tu la manges ! Abîmée ou non… »

Chloé Fortier-Devin s’emballe en me parlant de la sensibilisation au gaspillage qu’engendre l’agriculture urbaine. Et moi, je ris en reconnaissant avoir mangé le plus laid des concombres, l’été dernier. Je ne l’aurais jamais acheté en épicerie, mais je l’avais fait pousser, alors j’ai effectivement abaissé mes normes de qualité.

On ne m’avait juste pas prévenue qu’il était si difficile de cultiver des aliments qui ressemblent… à des aliments.

C’est précisément pour redécouvrir la source de son alimentation que Chloé, 30 ans, a fondé le Jardin de la devinette : « On est si déconnectés de ce qu’on mange et de comment c’est produit ! Juste faire pousser des fines herbes, ça permet de mieux apprécier le travail des maraîchers qui nous nourrissent. »

Sauf que Chloé est allée beaucoup plus loin que ça pour comprendre la nature dudit travail…

Titulaire d’un bac en arts à Concordia, elle amorce sa carrière de médiatrice muséale quand la pandémie vient interrompre nos vies. Celle qui jardine sur son balcon depuis cinq ans donne alors un nouvel élan à son passe-temps en convainquant son père, horticulteur de formation, de faire un potager sur le toit du plex familial. Le même été, Chloé s’inscrit à une journée d’initiation à la ferme Complètement légume, à Mirabel… En 2021, elle s’y engage en tant que maraîchère pour la saison estivale.

L’adaptation est « intense », précise Chloé Fortier-Devin. « La première semaine, tu dors bien, mais tu as mal partout ! » Ce n’est rien pour freiner sa passion naissante. En parallèle, elle cultive des semis provenant de semenciers artisanaux du Québec… Pas à la ferme, mais bien dans son salon. Ses plants trouvent rapidement preneur. Constatant l’intérêt des gens et leurs nombreuses questions, Chloé écrit et illustre un guide de jardinage urbain : Planification d’un potager de balcon.

L’ensoleillement, l’espace, le type de pots, la terre, l’engrais… Le petit fascicule ratisse large et signe la première étape de l’entreprise de services-conseils qui naît, en 2022 : le Jardin de la devinette.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Depuis quelques années, Chloé produit ses propres semis.

La production de semis passe alors au sous-sol du père de Chloé, Richard Devin. D’où « Jardin de la devinette ».

Le nom de l’entreprise témoigne d’un amour filial, mais aussi du fait que pour Chloé, « le jardinage, c’est beaucoup d’expérimentations, de tests et de découvertes ».

Pensons aux bacs à réserve d’eau qu’elle et une amie ébéniste ont créés, l’an dernier. L’entrepreneure utilise des bacs à rangement ultrarobustes, des drains agricoles et des tubes de remplissage pour fabriquer des bacs de 100 litres qui comprennent 25 litres de réserve d’eau. « L’eau remonte dans le plant par capillarité avec les racines et la terre, m’explique-t-elle. Ça s’irrigue tout seul et la réserve d’eau peut durer jusqu’à une semaine ! »

Toujours dans une optique de partage, elle prévoit offrir un atelier de fabrication de bacs avec des chaudières de 5 gallons et des matériaux récupérés (mettons que c’est un format mieux adapté aux balcons).

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Les nouveaux locaux du Jardin de la devinette, dans Rosemont

Cette année, la débrouillarde entrepreneure entame un nouveau chapitre : elle occupe enfin un local commercial, « avec un bail et tout » ! À la mi-février, Chloé Fortier-Devin s’est installée dans une pièce de 200 pieds carrés cachée dans le sous-sol des Ateliers de la Transition Socio-Écologique, dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal.

Un endroit logique, considérant que l’écologie est au cœur de cette initiative d’agriculture urbaine.

D’abord, il y a un souhait d’hyperlocalité et de permettre aux clients de venir chercher leurs semis à pied. Ensuite, tous les pots sont consignés. Même que Chloé teste actuellement des plants sans pot grâce à un presse-mottes qui crée des blocs de terreaux bien solides ressemblant vaguement à des brownies.

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Nous sommes à la mi-avril, alors que la production débute. D’ici un mois, les plants seront matures.

Elle ne sait pas encore si ce sera tout à fait concluant, mais elle ne se gêne pas pour informer sa clientèle de ses essais. L’agricultrice prône la transparence et la communication. (Elle a d’ailleurs demandé aux abonnés virtuels du Jardin de la devinette de voter pour la chemise qu’elle mettrait lors de la séance photo. Bon choix, tout le monde.)

De toute façon, le jardinage est une affaire de lâcher-prise. Plusieurs d’entre nous l’ont compris, dans les dernières années.

J’ai appris, en lisant cet article de 2022, que 53 % de la population du Québec entretenait une forme de potager en 2022. Plus important encore : 6 % de ces jardiniers avaient commencé leurs activités durant la pandémie, selon un sondage produit par l’Université Dalhousie et la firme Angus Reid.

Lisez l’article « Le jardinage est de plus en plus populaire »

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Plusieurs plants sont destinés aux jardins collectifs de Bouffe-Action, dans le quartier Rosemont.

Chloé incarne cet engouement : « La sécurité alimentaire est importante en période de crise… Et le jardinage fait du bien au corps et à l’esprit. Ça n’a pas à être compliqué quand tu mets en place les trucs pour que ça fonctionne ! Il faut passer un bon moment avec ses plantes. »

Alors, des conseils pour les gens qui ont envie de rejoindre le mouvement sans se fâcher (ou qui ne savent cultiver que d’affreux concombres) ?

« Commencer sans trop d’attentes, répond Chloé Fortier-Devin. Des fois, tu te lances avec des idées d’autosuffisance et ça n’arrivera peut-être pas tout de suite ! Je suggère aussi de cultiver ce qu’on aime, puis d’essayer des variétés et des couleurs qu’on ne trouve pas à l’épicerie. Oh, et de mettre des fleurs dans le potager ! Parce qu’il sera beau et que ça attirera les pollinisateurs. Finalement, il faut être patient. Jardiner, c’est à l’inverse de l’instantanéité à laquelle on est habitués avec notre rythme de vie effréné. Des fois, on regarde un plant et on a envie de crier “POUSSE !”, mais ça ne sert à rien. On travaille avec le vivant… Il y a toujours des surprises. »

Au fond, qui n’aime pas les surprises ?

Consultez le site du Jardin de la devinette