Pour des raisons sociales ou économiques, des jeunes vivent à plusieurs sous le même toit. Parfois même jusqu’à sept personnes. Et ils filent le parfait bonheur.

Pourune vie plus collective

C’est un simple calcul mathématique.

« Plus on est de fous, plus on rit… et moins on paye cher ! », s’exclame tout bonnement Nicolas.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

De gauche à droite, Lisa-Maï Costet, Maya Raimbault, Nicolas Pardo Cabrera, Marc-Éloi Robert et Geoffroy Michaud-Beaulieu.

Une douce lumière enveloppe le salon, décoré avec bon goût. Entassés sur le sofa, il y a aussi Lisa-Maï, Maya, Geoffroy, Marc-Éloi et Soya, le petit chat noir.

La joyeuse bande nous reçoit dans son chaleureux logement situé au cœur du Vieux-Rosemont.

Habiter en colocation est presque un passage obligé dans la vie d’un jeune adulte. Vivre à cinq, six ou même sept personnes sous le même toit ? C’est plus surprenant. La Presse a visité deux grandes colocations pour voir comment s’y organise la vie… et le ménage.

Étudiante en action culturelle, Maya Raimbault est la doyenne de la place. Elle a trouvé l’aubaine il y a trois ans : un appartement de cinq chambres, bien situé, à 1995 $ par mois. Au fil du temps, les autres occupants ont intégré la colocation, attirés par la vie en communauté et le loyer à faible coût.

Divisée par cinq, la facture oscille entre 400 $ et 450 $ par mois, incluant le chauffage et l’internet. Avec la crise du logement et l’inflation, les étudiants ne pourraient espérer mieux, surtout pour le quartier.

« Rosemont s’est gentrifié, les loyers sont devenus super chers. C’est sûr que je ne mettrais pas plus que ce prix-là dans un appart », note Maya.

1022 $

Loyer moyen d’un appartement de deux chambres à Montréal en 2022

Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement

L’étudiante en psychologie Lisa-Maï Costet abonde dans le même sens. « C’est toujours un plus, et je ne me verrais plus habiter seule et payer 800 $ à 1000 $ par mois », soutient-elle.

Comme dans Friends

Mais vivre en commun n’est pas seulement une question d’argent. Plus que les factures, des colocs partagent des moments d’intimité, des amitiés.

C’est comme vivre dans un perpétuel épisode de la sitcom Friends : impossible de se sentir seul. « Tu rentres, il y a quelqu’un sur le divan, on se raconte notre dating life », blague Nicolas.

« C’est un super moyen de connaître du monde et de s’intégrer. Quand tu ne connais rien ni personne, habiter avec du monde, c’est un catalyseur social », estime Marc-Éloi Robert, un étudiant français qui a immigré au Québec pendant la pandémie.

Certes, ce mode de vie requiert des efforts. Et il faut des règles pour assurer un minimum d’harmonie.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Pour faciliter le partage des tâches, le groupe s’est inventé un système avec un tableau des corvées collé sur le frigo.

Ici, tout le monde doit participer au ménage, sans aucun doute la principale source de frictions dans une colocation. Pour faciliter le partage des tâches, le groupe s’est inventé un système avec un tableau des corvées collé sur le frigo.

2,3 %

Taux d’inoccupation sur l’île de Montréal en 2022

Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement

Pour le reste, c’est du gros bon sens. On limite le bruit après 23 h, on prévient lorsqu’on invite des amis à la maison…

« C’est un peu des règles informelles. Même quand on habitait en famille, on savait quand on dépassait les limites », souligne Lisa-Maï. Le plus important, estime Maya, c’est la communication.

On se parle beaucoup, parce que souvent les choses qu’on ne dit pas, ce sont les choses qui finissent par éclater.

Maya Raimbault

Un rêve de collectivité

Dans le chemin tout tracé qu’on leur dessine, les jeunes emménageraient seul ou avec leur partenaire après leurs études, prêts pour la « vraie » vie d’adulte. Ont-ils songé à la suite ?

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

« J’aspire beaucoup à la vie en commun. Une colocation à plusieurs, c’est un tremplin vers des vies plus collectives », croit Maya Raimbault, deuxième à partir de la gauche.

Plus il vieillit, moins Nicolas ressent l’envie de vivre seul plus tard. « De plus en plus, j’envisage la vie de jeune professionnel en colocation », confie l’étudiant en génie mécanique.

5,4 %

Hausse enregistrée entre 2021 et 2022 pour un loyer de deux chambres à Montréal

Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement

La vie à plusieurs nous force à faire attention à l’autre. Elle nous enseigne la solidarité dans une société qui n’est plus très solidaire. Nous apprend à se parler dans un monde qui ne s’écoute plus autant.

« J’aspire beaucoup à la vie en commun. Une colocation à plusieurs, c’est un tremplin vers des vies plus collectives », croit Maya.

Et des vies plus heureuses, peut-être.

Une seconde famille

Dans l’entrée de l’appartement, je compte une vingtaine de paires de chaussures, de toutes les pointures et de tous les styles.

Pas de doute : je suis à la bonne adresse.

Sept étudiants et jeunes travailleurs partagent ce charmant et spacieux appartement du Plateau-Mont-Royal, situé à quelques coins de rue du parc Laurier.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Ces étudiants cohabitent à sept dans un logement sur le Plateau-Mont-Royal. De gauche à droite, Grégoire Dutilleul, Maria Antonino, Chloé Jiguet, Noémie Rabetaud, Alexandre Villié, Sarah Louis et Tom Marty.

« Les gens s’attendent toujours à ce qu’on dise que c’est l’horreur vivre à sept, alors qu’en fait, pas du tout ! On s’entend juste trop bien », lance Chloé Jiguet.

Pour la petite histoire, Alexandre, Tom et Grégoire – tous des étudiants français – ont été les premiers à emménager après avoir déniché la perle rare sur un site de petites annonces, en 2021. Les autres colocs – Maria, Chloé, Sarah et Noémie – sont arrivées plus tard de France, de Belgique et de Suisse.

En plus d’avoir conservé son cachet d’époque (le bâtiment daterait des années 1920, selon le proprio), l’appartement est immense. Il compte sept chambres, trois toilettes, deux frigos et une table de billard. Sans le chauffage, il en coûte entre 400 $ et 580 $ à ses locataires.

Mais l’argent n’a rien à voir avec leur manière de vivre.

Je n’ai jamais envisagé le fait d’habiter seule. Je me suis vraiment dit en arrivant ici que c’était le moyen pour rencontrer du monde.

Sarah Louis

En quittant leur pays, les jeunes expatriés ont tout laissé derrière. Mais ils ont trouvé une seconde famille entre ces murs. « C’est important de recréer un petit cocon dans lequel tu peux te sentir bien quand t’es loin de chez toi », ajoute Sarah.

Beaucoup d’amour

Comme en famille, tout le monde mange ensemble le soir. Cuisiner pour sept personnes exige du temps et un certain niveau d’organisation, mais ça a aussi ses avantages.

« Tu sais que tu peux aussi compter sur les autres quand t’as pas forcément le temps d’aller faire les courses et de cuisiner. Au final, ça t’enlève une charge mentale », explique Sarah.

En septembre, la bande s’est acheté une minifourgonnette pour faire des excursions le week-end. Après un roadtrip à New York, elle a récemment visité l’île aux Fesses, à Drummondville, qui n’avait, à leur déception, rien à voir avec le nom…

Ce qui est cool, c’est le fait qu’il y a une chaleur constante dans l’appart. T’arrives chez toi, il y a forcément quelqu’un qui est déjà là.

Tom Marty

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

De gauche à droite, Tom Marty, Maria Antonio, Grégoire Dutilleul, Chloé Jiguet, Alexandre Villié, Sarah Louis et Noémie Rabetaud

Bien entendu, il n’y a pas d’injonction à être tout le temps ensemble, et chacun a le droit d’avoir son espace aussi.

Quand ils sentent le besoin de « reconnecter », les sept colocs mettent tous leur matelas dans le salon et dorment côte à côte. C’est vrai, il y a beaucoup d’amour entre eux, mais ne vous faites pas d’idées, le concubinage est formellement interdit.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

« On touche pas aux colocs ! », plaisante Chloé.

Peur d’être seul ?

Au fond, est-ce que le besoin d’être constamment entouré ne cache pas aussi la peur d’être seul ?

« Je pense qu’il y a pas mal d’angoisse. Je ne m’imagine pas arriver chez moi dans un appart tout éteint, et me rendre compte que je suis tout seul », confie Tom.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Pour Chloé, l’intérêt n’est simplement pas là. « Je ne saurais pas vivre seule, mais ce n’est pas mon objectif », répond-elle.

« Je suis presque fière de ce qu’on vit et ça me fait trop plaisir de pouvoir le partager, et de me dire que des gens vont peut-être changer leur vision de ce que c’est de vivre à sept », conclut-elle.