Après avoir exposé à Miami, à Toronto, à Québec et à Montréal, à 40 ans, le peintre Jérémie St-Pierre aura droit, du 8 février au 21 avril, à un solo au Musée des beaux-arts de Sherbrooke. En même temps sera inaugurée sa première œuvre d’art public dans la même ville. Nous sommes allés en Estrie visiter l’atelier de cet artiste au regard anticonformiste.

La défiguration

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Jérémie St-Pierre sur sa propriété

Jérémie St-Pierre est un amateur de la défiguration. Il explique avoir été ému aux larmes devant une toile de Francis Bacon au MOMA, à New York. Il se délecte des explorations picturales d’artistes comme Adrien Ghenie, Justin Mortimer ou Leon Golub, dont la peinture Mercenaries II l’a « mis à terre » quand il l’a découverte au Musée des beaux-arts de Montréal.

Dessinateur doué dans sa jeunesse, il est passé du fusain à l’acrylique et à la figuration après les cours de l’artiste Michel Bricault à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Fan de l’anthropologue René Girard, du sociologue Denys Delâge et des philosophes Merleau-Ponty et Gilles Deleuze, grand passionné d’actualité, c’est un artiste aux aguets. Il absorbe les informations, archive photographies et coupures de presse et rapporte des images de ses promenades dans la nature avant de passer à l’action sur la toile dans son style expressionniste.

Fasciné par la figure du bouc émissaire (sujet de son fort intéressant mémoire de maîtrise), il a évoqué dans ses peintures les crises migratoire et climatique. Il s’intéresse à l’effacement, au délabrement de la vie : les ruines, les maisons à l’abandon, les animaux en voie de disparition, et à notre propension à jeter, à gaspiller, à défigurer.

Artiste multidisciplinaire, il a fait de la performance et a monté des installations avec sa conjointe, l’architecte paysagiste Valériane Noël, à la Biennale internationale du lin de Portneuf et lors d’évènements artistiques dans la région de Sherbrooke. Le galeriste Hugues Charbonneau a apprécié son travail et lui a permis d’exposer à la foire Scope de Miami, en 2016. Il a ensuite été représenté par le galeriste de Québec Michel Guimont jusqu’à ce que ce dernier ferme son local en 2022.

Consultez le mémoire de l’artiste

L’atelier

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

L’atelier de Jérémie St-Pierre

Originaire du village de Sainte-Félicité-de-L’Islet, dans Chaudière-Appalaches, Jérémie St-Pierre est allé étudier et vivre à Montréal avant de s’installer en 2017, avec sa conjointe et leurs deux filles, dans une petite maison de Val-Joli, un petit coin splendide au nord de Sherbrooke. Il a installé son atelier dans une bâtisse séparée de leur maison par un petit pont qui passe au-dessus d’un ruisseau. L’endroit est bucolique et reposant.

  • Vue de l’atelier

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Vue de l’atelier

  • Les pinceaux de l’artiste

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Les pinceaux de l’artiste

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C’est là qu’il crée ses peintures avec un procédé en plusieurs étapes. Sélection d’images provenant de ses archives ou de ses pérégrinations, constitution de collages/montages découlant du concept choisi, traitement de l’image sur ordinateur pour défigurer, réarranger la composition. Vient ensuite l’esquisse, puis l’étape libre de la peinture pour donner des œuvres éclatées, en partie gestuelles. « Je tripe à chaque étape, dit-il. Mais je suis aussi un artiste qui doute. Jamais satisfait ! Douter est nécessaire. »

Expo à Sherbrooke

  • Jérémie St-Pierre près d’une œuvre qui sera exposée

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Jérémie St-Pierre près d’une œuvre qui sera exposée

  • La maquette de son installation au musée

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    La maquette de son installation au musée

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Quand nous l’avons rencontré, son atelier était rempli des peintures (plusieurs de grand format) qu’il va exposer au Musée des beaux-arts de Sherbrooke. Pour ce solo, il a choisi une démarche inédite pour lui. Il s’est en effet inspiré d’un poème émouvant que lui avait adressé son amie poète Vicky Gendreau, disparue en 2013, et qu’il a découvert par hasard en 2019. Ses toiles découlent ainsi de souvenirs personnels.

Consacrée à la mémoire, l’expo s’intitule Une magnifique désolation. Les visiteurs pourront y lire le poème de Vicky Gendreau, laisser des messages écrits et même des traces de leurs pas. Mais aussi utiliser leur téléphone intelligent pour voir les peintures avec leurs couleurs inversées. Une expérience virtuelle intéressante, car ses toiles sont souvent dans des teintes irréelles et hallucinatoires, notamment ses mauves et bleus turquoise. Des couleurs qui évoquent notre monde schizophrénique. « L’expo est aussi un hommage à la littérature, dit-il. Un peu comme si je l’avais montée avec Vicky. Et mes tableaux sont plus expressifs que précédemment. »

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAS

Herbier-mémoire # 1, 2023, acrylique sur toile, 30,48 x 40,64 cm. Sera exposée au musée.

Lisez l’annonce de l’expo sur le site du MBAS

Rock Forest et l’avenir

MAQUETTE FOURNIE PAR L’ARTISTE

Maquette d’Entrez dans le jeu !

Jérémie St-Pierre a remporté un concours mis sur pied pour intégrer une œuvre d’art au sein du Centre récréatif Rock Forest, à Sherbrooke. Constitué de deux cercles en alu, Entrez dans le jeu ! sera inaugurée le mois prochain. Le projet a été réalisé dans le cadre de la 58e finale des Jeux du Québec, qui aura lieu à Sherbrooke en mars. Posant un regard ludique sur le jeu, il a collaboré avec des enfants d’une garderie et d’une école primaire, ainsi qu’avec un organisme s’occupant de familles immigrantes. « J’ai utilisé les dessins qu’ils ont faits sur le thème du sport. Je les ai juxtaposés à des silhouettes de sportifs. J’ai décidé de donner à ces écoles et à l’organisme 1 % de la bourse de ce projet, afin que l’art et la culture s’y développent. Et pour investir dans ma communauté. »

Chargé de cours à l’Université de Sherbrooke depuis 2020, Jérémie St-Pierre est satisfait de son cheminement. « Je ne me serais jamais vu là, il y a 10 ans, dit-il. J’ai plus de facilité à créer. Ma bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec pour le montage de l’expo et mon projet de Rock Forest m’ont aidé financièrement. J’ai pu m’acheter du matériel. Quand j’utilise du noir, j’en mets plein sur ma palette ! Je ne suis plus obligé d’utiliser mes vieux fonds de peinture ! Dès que l’expo sera terminée, je créerai un nouveau corpus sur un nouveau thème. Jusqu’à tant que je crève, je vais peindre ! Je suis tellement bien à Val-Joli. C’est un retour vers l’enfance. Je m’évade dans le bois et je crée. »

Consultez le site de l’artiste

En images

Quelques œuvres de Jérémie St-Pierre

  • Spectres 3, 2016, acrylique sur papier, 41 x 51 cm

    PHOTO JEAN-MICHAEL SEMINARO, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Spectres 3, 2016, acrylique sur papier, 41 x 51 cm

  • Dédoublement, 2016, acrylique sur toile, 152 x 183 cm

    PHOTO JEAN-MICHAEL SEMINARO, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Dédoublement, 2016, acrylique sur toile, 152 x 183 cm

  • Chronique d’une virtualité annoncée # 5, 2018, acrylique sur toile, 76 x 92 cm

    PHOTO JEAN-MICHAEL SEMINARO, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Chronique d’une virtualité annoncée # 5, 2018, acrylique sur toile, 76 x 92 cm

  • L’horizon des évènements # 2 – On te sauvera seulement si t’es beau, 2018, acrylique sur papier, 56 x 76 cm

    PHOTO JEAN-MICHAEL SEMINARO, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    L’horizon des évènements # 2 – On te sauvera seulement si t’es beau, 2018, acrylique sur papier, 56 x 76 cm

  • L’horizon des évènements # 14, 2018, acrylique sur toile, 152 x 183 cm

    PHOTO JEAN-MICHAEL SEMINARO, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    L’horizon des évènements # 14, 2018, acrylique sur toile, 152 x 183 cm

  • Peindre l’indifférence – l’envers du décor # 2, 2020, acrylique sur toile, 152 x 183 cm

    PHOTO JÉRÉMIE ST-PIERRE, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Peindre l’indifférence – l’envers du décor # 2, 2020, acrylique sur toile, 152 x 183 cm

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