Pour sa programmation du printemps, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) présente femmes volcans forêts torrents, une exposition qui met en valeur le travail de neuf femmes de générations et d’origines différentes vivant au Québec, neuf artistes qui sont « de grandes ambassadrices des arts visuels ».

L’affirmation est de la commissaire invitée et historienne de l’art Marie-Ève Beaupré, et fait allusion à cette exposition qui met en relation des personnes qui, malgré une reconnaissance dans le milieu des arts visuels, n’avaient pas encore eu leur juste place au MAC.

Avoir toutes ces femmes au MAC, c’est très puissant. C’est un grand moment de sororité.

Marie-Ève Beaupré

Des noms comme Sonia Robertson, artiste innue de Mashteuiatsh, côtoient ceux d’Anahita Norouzi, artiste d’origine iranienne et finaliste du prix Sobey pour les arts 2023, ou de Nelly-Eve Rajotte et Sabrina Ratté, artistes importantes pour la communauté des arts multimédiatiques. L’exposition confirme ainsi cette notoriété tout en faisant découvrir, par le fait même, ces artistes à un large public.

C’est une relation horizontale et poreuse entre l’humain et la nature qui marque d’emblée femmes volcans forêts torrents : « Les œuvres sont toutes perméables au tissu relationnel des vivants non humains. Les artistes ont une vision non dominante dans leur rapport à l’environnement », précise la commissaire qui a aussi été la conservatrice de la Collection du Musée d’art contemporain de Montréal pendant près de huit ans.

Les projets se font écho ; il y existe une proximité entre eux. Surtout, le public est convié à prendre le temps de saisir et de réfléchir à toutes les subtilités des œuvres. « On a voulu créer des conversations et tisser des liens », mentionne celle qui a travaillé en collaboration avec les artistes pendant environ deux ans pour préparer cette exposition.

  • Sonia Robertson, Umiku Nekaui-Assi | Sang de la terre-mère, 2014-2024, tissu, corde, fil à broder, monofilament, acier, médium acrylique, sable et papier de soie

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    Sonia Robertson, Umiku Nekaui-Assi | Sang de la terre-mère, 2014-2024, tissu, corde, fil à broder, monofilament, acier, médium acrylique, sable et papier de soie

  • Anahita Norouzi, Constellational Diasporas [Diasporas en constellation], graines de Berce de Perse, verre soufflé et résine

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    Anahita Norouzi, Constellational Diasporas [Diasporas en constellation], graines de Berce de Perse, verre soufflé et résine

  • Maria Ezcurra, Migrants néotropicaux, 2018-2024, crayon de bois, marqueur et stylo sur carton recyclé

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    Maria Ezcurra, Migrants néotropicaux, 2018-2024, crayon de bois, marqueur et stylo sur carton recyclé

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Comme une marche en forêt

L'exposition femmes volcans forêts torrents est conçue comme « une grande marche dans la forêt ». L’expérience vise tout le corps. Ce dernier est impliqué et est à l’affût des différentes sensations. Il s’agit de penser que le corps est « autre chose que ce que notre regard peut saisir », selon Marie-Ève Beaupré.

Le public est d’abord accueilli dans la première salle par le projet Migrants néotropicaux (2018-2024), de Maria Ezcurra, où la cimaise est placardée de dessins d’oiseaux migrateurs en voie d’extinction. Ceux-ci sont réalisés sur des boîtes utilisées pour la circulation de marchandises.

S’en suit le redéploiement dans l’espace de Umiku Nekaui-Assi | Sang de la terre-mère (2014-2024), de Sonia Robertson, qui sensibilise les visiteurs à l’eau comme ressource essentielle.

Si les éléments de l’air et de l’eau sont présents au début de l’exposition, le feu et la terre sont aussi exploités dans l’installation vidéographique Archipelago of Earthen Bones [Un archipel d’os terrestres] (2024), de Malena Szlam, qui présente des paysages visuels et sonores de sites volcaniques ancestraux. L’artiste prend soin de ne pas montrer les sommets des volcans pour éviter de faire référence à une ascension vers une domination. Les visiteurs découvrent ensuite la composition performative Huis clos/l’étendue de nos souffles, de Jacynthe Carrier. Des images de corps de danseurs entrent en dialogue avec le flot d’une chute.

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Malena Szlam, Archipelago of Earthen Bones [Un archipel d’os terrestres], 2024, film 16 mm numérisé ; installation vidéographique à 3 canaux, couleur, son multicanal, 20 min, 19 min, 18 min. Son par Laurence English.

La seconde salle s’ouvre sur l’installation de billes en verre suspendues, Constellational Diasporas [Diasporas en constellation], d’Anahita Norouzi. Dans ces formes se trouvent des graines de la Berce de Perse, une plante d’Iran. Il s’agit de présenter, d’une manière poétique, le récit migratoire de ce végétal : reconnu à l’époque pour ses vertus, il a ensuite été délaissé lorsqu’il n’a plus été utile pour les échanges et l’exploitation coloniale.

Le végétal est aussi le thème des trois vidéos qui forment Floralia, de Sabrina Ratté. Des roses et des hydrangées sont, dans ce cas, reproduites dans un futur imaginé, c’est-à-dire, numérisées et archivées pour que leurs traces soient conservées.

Dans une autre visée, une relation ouverte entre le corps et les éléments géologiques est mise de l’avant dans Rock Piece [Œuvre de pierres], de l’artiste asinnajaq, tandis que dans Le bruit des icebergs, de Caroline Gagné, il s’agit d’entrer en contact, dans une proximité, avec un iceberg grâce aux sons et aux images.

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Nelly-Eve Rajotte, Les arbres communiquent entre eux à 220 hertz, 2024, installation vidéographique à trois canaux, 4K, couleur, son génératif, 25 min, synthétiseur modulaire, électrodes et arbre

La fin du parcours retient l’attention : le projet de recherche-création Les arbres communiquent entre eux à 220 hertz, de Nelly-Eve Rajotte, inclut un tilleul vivant bien en place dans la salle d’exposition. Et sa contribution semble majeure : il n’est rien de moins que le « créateur » de la trame sonore des images de l’environnement immersif créé par l’artiste, tel un musicien DJ. Pour ce faire, un procédé capte l’influx énergétique de l’arbre et le transforme en sons.

L’œuvre fait rendre compte que si un tilleul peut vivre jusqu’à 1000 ans et qu’il possède plusieurs propriétés, il n’est généralement pas beaucoup valorisé dans la société actuelle. L’exposition s’emploie donc à tenter de modifier notre rapport à ce feuillu.

L’arbre n’est pas seulement un objet décoratif qu’on met dans nos platebandes. Il transmet de l’énergie.

Marie-Ève Beaupré

Une prise de conscience

Si l’exposition embrasse certaines idées écoféministes, il s’agit plutôt de rendre accessibles ces notions grâce à l’expérience. Ainsi, femmes volcans forêts torrents « nous amène doucement vers du politique. Elle passe par le sensible pour questionner l’environnement, l’écologie... ce qui se fait d’habitude par la science. Là, ça passe par les émotions », décrit Bénédicte Ramade, historienne de l’art et commissaire invitée du Colloque international Max et Iris Stern 16 du MAC.

L’exposition passe en somme un message clair : les musées doivent accueillir des expériences réflexives ainsi que d’autres formes de cultures et non pas seulement du western game, pour reprendre les termes de Marie-Ève Beaupré. Il s’agit d’user de manières chaleureuses et bienveillantes, dans une visée non hiérarchique. D’où les minuscules, d’ailleurs, dans les différents noms et titres de l’exposition. « On voulait éviter toutes lettres capitales pour ne pas être dans la hiérarchie », précise-t-elle de nouveau.

Marie-Ève Beaupré souhaite rendre accessibles ces questions à tous, au-delà des théories nichées : « On traverse une crise de sensibilité actuellement. On parle d’une nécessaire restauration du vivant. C’est une exposition qui embrasse des préoccupations sociétales que le musée a la responsabilité d’adresser ». Et il s’agit d’un tour de force, sachant que le MAC, par sa situation géographique à la Place Ville Marie, un campus commercial et d’affaires, est ancré dans l’économie, laquelle est souvent susceptible d’ériger des frontières entre l’humain et le vivant.

femmes volcans forêts torrents, au Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 18 août, Place Ville Marie – Niveau Galerie

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