Artiste d’origine iranienne installée à Montréal depuis six ans, Anahita Norouzi fait, depuis, sa marque au Canada. Passionnée par les droits de la personne et l’environnement, elle expose actuellement des œuvres au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), à la galerie Nicolas Robert et au Centre Jacques-et-Michel-Auger de Victoriaville. Nous l’avons rencontrée dans son atelier du quartier Chabanel.

De Téhéran à Montréal

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’appareil photo de son père

Jeune, Anahita jouait du piano et du saxophone et chantait dans une chorale. Fille d’une enseignante et d’un militaire, elle a étudié en génie avant d’opter pour les arts visuels, après avoir été émue par les tableaux de Francis Bacon, au Musée d’art contemporain de Téhéran. « J’ai réalisé alors qu’on pouvait évoquer quelque chose indirectement, avec une métaphore, dit-elle. Notamment le sujet de la violence. »

Passionnée de photographie, de cinéma expérimental et d’art conceptuel, elle est venue étudier à Concordia en 2010. Dans ses temps libres, elle photographiait les ruelles de la métropole. « J’étais seule, loin de chez moi. Les ruelles sont un espace particulier. À la fois commun et isolé. C’était un travail sur la mélancolie avec un appareil que mon père a utilisé quand il était jeune. »

Maîtrise en poche, elle est retournée à Téhéran en 2013. « Les années suivantes, j’ai lu énormément, fait de la photo de mode et enseigné à l’université. » En 2018, elle est revenue à Montréal où elle a entamé une période de création intensive. En six ans, elle a réalisé 25 œuvres ! Une frénésie qui révèle son tempérament. « J’ai compensé pour les années durant lesquelles je n’ai pas créé. J’avais le désir de travailler et de chercher beaucoup. J’adore la recherche. »

Ses thèmes

En 2010, elle a quitté l’Iran, alors secoué par des manifestations durement réprimées par le régime islamique. Cette violence s’est imprimée dans son œuvre. En 2012, elle s’est filmée en train de sacrifier une brebis pour parler des citoyens sacrifiés. Tehran, The Apocalypse est une vidéo engagée et dérangeante qui parle aussi de notre hypocrisie par rapport à la violence. « Si vous mangez du steak, je ne pense pas que vous puissiez parler de morale ou d’éthique par rapport à cette œuvre, dit-elle. En 2010, j’ai vu de jeunes soldats tuer des étudiants du même âge. Je ne comprenais pas que ça puisse être possible. J’ai ensuite beaucoup lu sur l’histoire du fascisme, du nazisme et des systèmes autoritaires. »

De ces lectures découleront, en 2018, deux autres vidéos sur la violence. En Iran, dans l’Allemagne nazie, aux États-Unis et au Canada avec les expérimentations psychiatriques dénoncées du DDonald Ewen Cameron, menées entre 1957 et 1964 à l’Université McGill dans le cadre d’un projet de la CIA. Ces deux œuvres sont A Space in Between, une performance présentée à Berlin, et Flesh Memory, tournée en Iran.

Parallèlement au thème des droits de la personne, Anahita est passionnée par les questions de citoyenneté et d’environnement. En 2013, elle s’est filmée en train de planter 100 cyprès sur une montagne mythique de l’Iran, le mont Damavand. Sa vidéo One Hundred Cypresses parle d’endurance, de désespoir, de paysage, de détermination à changer une réalité, mais aussi d’espoir et de paix.

Regardez la vidéo One Hundred Cypresses (en anglais)

Expos

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Constellational Diasporas à la Fondation Grantham en 2022

La migration est au cœur de ses derniers corpus. Après avoir présenté, à la Fondation Grantham en 2022, son installation Jardin trouble sur le voyage des plantes d’un continent à l’autre, Anahita profite de sa nouvelle notoriété (l’an dernier, elle a été finaliste du prix Sobey et lauréate du prix en art actuel du Musée national des beaux-arts du Québec) pour présenter deux nouvelles versions de ses créations.

Lisez la critique de Jardin trouble

Dans les espaces temporaires du MAC (Place Ville Marie), elle fait partie, jusqu’au 18 août, du déploiement femmes volcans forêts torrents concocté par la commissaire Marie-Ève Beaupré. Neuf artistes évoquent leurs relations avec les paysages de la vie. Elle y expose une version aérienne de Constellational Diasporas, présentée, au sol, à la Fondation Grantham : 550 graines d’Heracleum persicum emprisonnées dans des boules de verre. Des graines rapportées d’Iran par sa mère. Une œuvre qui parle aussi des contrôles douaniers du monde vivant, que ce soit les humains ou les plantes. « Comment on décide ce qui passe et ce qui ne passe pas, dit-elle. Ma mère a pu venir à Montréal avec ces graines, car ce sont aussi des épices. Sinon, elle n’aurait pas pu. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Anahita Norouzi devant son œuvre au MAC, en compagnie de la commissaire Marie-Ève Beaupré

Consultez la page de l’expo au MAC

Au Centre Jacques-et-Michel-Auger, la commissaire Ariane Plante présente des éléments de deux corpus d’Anahita. Un déploiement fluide et nourrissant sur la migration et sur la présence des Britanniques en Iran à cause du pétrole dès 1901.

La question de la migration botanique a intéressé la population de Victoriaville, selon Dominique Laquerre, directrice du centre. « Quand on parle de mauvaises herbes, de la berce de Perse, notamment, les gens du milieu agricole connaissent cette réalité. L’expo les a fascinés, car elle montre le contraste entre protection de la diversité et éradication des herbes indésirables qui sont en même temps des plantes ornementales. »

  • Des élèves de l’école Le boisé, à Victoriaville, créent des monotypes à partir de l’exposition d’Anahita Norouzi.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Des élèves de l’école Le boisé, à Victoriaville, créent des monotypes à partir de l’exposition d’Anahita Norouzi.

  • Des iris en verre, noirs, comme le pétrole iranien

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    Des iris en verre, noirs, comme le pétrole iranien

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Projets

PHOTO ANAHITA NOROUZI, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Projet Unmapped Country, photo, 2009

Ironiquement, cette artiste passionnée de migration est actuellement limitée dans ses déplacements. Elle attend sa citoyenneté canadienne pour pouvoir accepter l’invitation de résider au MASS MoCA, le Musée d’art contemporain de North Adams, au Massachusetts. Elle a aussi besoin d’un passeport canadien pour aller présenter un solo, en septembre, à la foire Armory de New York. « Je prépare les œuvres, mais je ne sais pas si je pourrai aller au vernissage. Les États-Unis ne permettent pas d’entrer avec un passeport iranien. »

En attendant que ça se règle, elle travaille sur le projet de création et de recherche Faux-plis de la Galerie de l’UQAM et de la galerie de l’UQO. « Les créations des artistes seront présentées simultanément dans quatre galeries universitaires du Québec, dès septembre. Ma recherche porte sur le pavot bleu et la communauté chinoise. Et j’ai fait une résidence aux Jardins de Métis dernièrement. »

En novembre, elle sortira un livre de photographies prises de 2006 à 2009 qui évoquent ses relations avec l’Iran. Elle va aussi créer une œuvre commandée par la Caisse de dépôt et placement du Québec d’ici décembre. Elle planche sur un projet de film pour lequel elle a reçu une bourse et ira tourner à l’extérieur du Canada. Et elle fera une résidence à Paris l’année prochaine et aura, la même année, une expo en Norvège.

Anahita Norouzi aime créer à Montréal. « C’est une ville singulière au Canada. Elle a beaucoup de textures. Tout le monde a l’impression d’appartenir à cette ville. C’est différent à Toronto. Ici, c’est chez moi. J’aime y créer avec de l’intuition que je nourris avec mes recherches. Pour moi, être artiste, c’est raconter des histoires avec du visuel et de la beauté, tout en essayant de comprendre le monde dans lequel on vit. »

Consultez le site de l’artiste

Créations

  • Vue de l’exposition The Circuit of Dispossession, en 2023, à la galerie Nicolas Robert

    PHOTO STEVE FAGAN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Vue de l’exposition The Circuit of Dispossession, en 2023, à la galerie Nicolas Robert

  • Image tirée de la vidéo Tehran, The Apocalypse, 2012

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Image tirée de la vidéo Tehran, The Apocalypse, 2012

  • Un des poissons de l’œuvre They Are Neither Dead nor Alive, 2018-2019

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Un des poissons de l’œuvre They Are Neither Dead nor Alive, 2018-2019

  • Impression du corpus City as a Collective Memory, 2010

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Impression du corpus City as a Collective Memory, 2010

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