La Fondation PHI présente dès maintenant, et tout l’été, le travail de Sonia Boyce qui a été primé à la Biennale de Venise. Nous avons demandé à l’artiste comment approcher cette œuvre intrigante.

« Ça prend un petit moment », confie Sonia Boyce, sans hésiter.

Il ne faut donc pas passer en coup de vent à la Fondation PHI, pour voir – mais surtout entendre – Feeling Her Way.

« Certains le feront », dit l’artiste qui ne veut pas donner de consignes aux visiteurs.

Faites-le pour elle : prenez le temps, soyez ouvert.

Car si vous ne faites que passer dans les trois salles, vous n’entendrez que du son, des voix de femmes qui se superposent et qui créent une cacophonie pas nécessairement plaisante.

« Les gens finissent par s’asseoir et se demandent : mais que se passe-t-il ici ? », poursuit l’artiste.

Sonia Boyce est une figure importante de l’art contemporain britannique. Sa voix est puissante. Elle est titulaire de la chaire d’art et de design d’artistes noirs de l’Université des arts de Londres. En 2022, elle a remporté le Lion d’or de la meilleure participation internationale à la Biennale de Venise avec Feeling Her Way. C’est cette installation qui est présentée à la Fondation PHI. Et dans laquelle il faut passer un moment.

Si ce n’est que pour se trouver soi-même. L’artiste y a placé à dessein beaucoup de placage de feuilles dorées qui reflétera l’image du visiteur, à condition qu’il la voie. Cela fait partie de l’expérience : Sonia Boyce veut provoquer cette introspection, pas évidente lorsque l’on entend les sons jaillir de tout bord tout côté. Rien n’est ici innocent.

Feeling Her Way occupe trois espaces à la Fondation PHI. Le premier présente une séance d’improvisation vocale de quatre chanteuses qui ne s’étaient jamais rencontrées avant. Aux quatre écrans qui montrent individuellement les artistes, s’en ajoutent deux autres qui présentent une impro de l’une d’elles, Tanita Tikaram – cette chanteuse qui avait fait danser le monde à la fin des années 1980 avec la très suave ballade Twist in My Sobriety.

Les chanteuses qui ont participé au projet ont réclamé plus de direction. Or, l’idée était précisément d’en avoir peu. De trouver sa voix. « On voulait voir ensuite comment ça allait se passer, explique Sonia Boyce. On voulait voir si ç’allait être intéressant ou non, mais elles étaient libres de faire ce qu’elles voulaient. »

La totale liberté a dû être apprivoisée par les participantes.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Sonia Boyce

Si on disait à des enfants : “voici un espace où vous pouvez jouer”, ils comprendraient tout de suite. Mais les adultes trouvent ça beaucoup plus difficile d’avoir cet espace pour jouer.

Sonia Boyce

Défi supplémentaire : « On leur a dit qu’elles n’avaient pas à faire de beaux sons, précise Sonia Boyce. Pour une femme qui est dans l’industrie de la musique, ne pas faire de beaux sons est une puissante affirmation. » Dans une autre salle, on présente un enregistrement où la chanteuse suédoise Sofia Jernberg fait de l’expérimentation vocale. « On se demande ce qu’elle fait », note Sonia Boyce qui était présente à Montréal pour l’ouverture de l’exposition et qui a encore un frisson en écoutant Sofia Jernberg. « C’est extraordinaire, ce qu’elle fait. »

Toutes les voix, toutes féminines, se mélangent différemment, à différents moments dans l’expérience. D’où l’importance d’y mettre le temps et de ne pas visiter l’exposition un jour de migraine.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La séance d’improvisation vocale a réuni Poppy Ajudha, Jacqui Dankworth MBE, Sofia Jernberg et Tanita Tikaram.

Entre les deux salles, un plus petit espace, The Gold Room, qui regroupe des albums de musiciens, sans possibilité d’écoute, toutefois. « Les visiteurs comprennent que c’est à propos de la musique et de chanteuses, explique Sonia Boyce. Le fait qu’ils puissent se mettre en relation avec ces chanteuses est une clé. »

Et toujours, des sons en arrière-plan, assez proches pour créer de la confusion et exiger un effort de la part de celui ou de celle qui voudra le faire.

« Je voulais que leurs voix et leurs chants, leurs talents nous prennent au ventre, aux tripes, explique Sonia Boyce. Ne pas y voir une conception cérébrale ; je veux que l’audience le ressente. »

Feeling Her Way, à la Fondation PHI, jusqu’au 8 septembre 2024

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