- Nom : Cathédrale Notre-Dame de Paris
- Âge : 861 ans
- Fonction : Lieu de culte, lieu de culture, site touristique
- Mots-clés : Restauration, vitraux, patrimoine, opposition
Pourquoi on en parle
Cinq ans après l’incendie spectaculaire qui a ravagé sa flèche, sa voûte et une partie de son mobilier (15 avril 2019), la cathédrale Notre-Dame est sur le point de renaître. Mais sa restauration continue de faire polémique. La semaine dernière, l’Archevêché de Paris a lancé un appel à candidatures pour la création de vitraux contemporains figuratifs dans une portion du bâtiment historique. Comme on pouvait s’en douter, ça ne fait pas l’unanimité.
Des grisailles, pas des vitraux
Pas de panique, on ne touchera pas aux trois rosaces monumentales qui ont miraculeusement survécu à l’incendie… Il s’agit plutôt de remplacer les grisailles de six chapelles situées sur le bas-côté de la nef, du côté de la Seine, conçues par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc entre 1855 et 1865, et demeurées intactes après le sinistre. Si on a bien compris, l’idée derrière ce projet est de profiter de la restauration pour « inscrire » la cathédrale dans son temps et marquer sa renaissance. Le thème imposé n’a toutefois rien de moderne : il tourne autour de la Pentecôte.
Pas la première fois
Ce ne serait pas la première fois qu’on apporte des modifications au bâtiment. Au fil des ans, Notre-Dame de Paris est devenue une sorte de « patchwork » d’époques et de styles, avec ajouts au XIIe et au XIIIe siècle, ainsi qu’au XVIIe, au XIXe et au XXe siècle. « De la cathédrale d’origine, il reste surtout les murs, les voûtes, les vitraux des trois grandes roses, le décor de la clôture du chœur et une partie de la statuaire à l’extérieur », souligne l’historien Mathieu Lours, auteur du livre Les cathédrales dans le monde. Pour cet expert ès cathédrales, Notre-Dame serait la somme d’une « tradition évolutionniste », sa pureté vintage relevant d’une « vision romantique ».
Contestation et pétition
Malgré tout, l’opération crée la polémique. Début décembre, l’historien de l’art Didier Rykner lançait une pétition pour s’opposer au projet et conserver les vitraux de Viollet-le-Duc. Cent quarante mille noms ont été recueillis depuis et M. Rykner ne décolère pas. « La cathédrale est classée monument historique. On ne remplace pas les vitraux d’une église classée historique, point à la ligne ! », fustige le fondateur du magazine La tribune de l’art, spécialisé dans l’histoire de l’art et le patrimoine occidental du Moyen Âge aux années 1930. L’initiative est d’autant plus « choquante », dit-il, que les grisailles n’ont pas été détruites par l’incendie et ont même été restaurées dans la foulée ! « Qu’est-ce qui justifiait de les remplacer ? », demande-t-il, criant au « vandalisme ».
Dans un musée ?
Mathieu Lours juge que Didier Rykner « exprime un point de vue recevable ». Il constate qu’on a mis tant d’efforts pour reconstruire à l’identique la flèche de la cathédrale (aussi conçue par Viollet-le-Duc) à l’extérieur, alors qu’on enlève les vitraux de l’architecte à l’intérieur. « Il est légitime que cela suscite des interrogations. » Il souligne toutefois que les grisailles démontées seront exposées dans le musée de Notre-Dame, donc toujours accessibles. Pas de quoi amadouer M. Rykner, pour qui les vitraux « n’ont plus de sens » en dehors de leur contexte. Les chartes d’Athènes et de Venise semblent aller dans le même sens. Mais Mathieu Lours précise que ces grandes conventions internationales sur la conservation et la préservation du patrimoine sont « sujettes à interprétation ».
Cramer le patrimoine
À noter que l’enquête n’a toujours pas pu déterminer les causes du sinistre qui a détruit Notre-Dame. Didier Rykner rappelle toutefois que 80 % des incendies de monuments historiques ont lieu quand il y a des chantiers. C’était le cas en 2019 à Paris, mais aussi cette semaine à Copenhague, où l’ancienne Bourse (XVIIe siècle) et sa flèche ont été ravagées par les flammes, dans un quasi-remake de Notre-Dame. « À un moment, il faudra qu’on arrête de cramer les monuments quand on les restaure, lance Didier Rykner. Un chantier de monument historique, ce n’est pas comme n’importe quel chantier. Ça demande des précautions supplémentaires. »
Ironie de l’Histoire
Les candidats ont jusqu’au 24 mai pour proposer leur projet. Un « binôme lauréat » (un verrier, un artiste) sera choisi par un comité de 20 membres en novembre, afin de proposer un prototype pour la réouverture officielle de la cathédrale prévue le 8 décembre. Ils ne seront pas posés avant 2026. Hasard du calendrier : la Cité du vitrail à Troyes expose en ce moment des vitraux contemporains figuratifs créés pour Notre-Dame dans les années 1930. On les avait retirés après un an… à cause d’une polémique entre les anciens et les modernes !