Il y a une maison jaune qui s’impose, rue de Grand-Pré, à Montréal. C’est l’une des premières bâties dans ce qu’on aurait jadis appelé « la ruelle des veuves »…

« Peut-être à cause de la guerre ou d’une épidémie ? », avance Bernard Cooper. Dur à dire, l’information est tirée d’un livre unique dont Bernard a hérité lorsqu’il a acheté la maison, il y a quatre ans. En une soixantaine de pages, d’anciens propriétaires y décrivent tout ce qu’ils ont pu trouver sur l’histoire de la demeure.

Je feuillette le précieux cadeau, assise dans la cuisine de Bernard, que je ne connais pas du tout. J’ai utilisé ma carte « j’écris une série de chroniques sur les maisons intrigantes » pour me faire inviter.

Ça fait des années que celle-là pique ma curiosité. Et je ne suis pas la seule…

Myriam Bouroche tient le compte Instagram Passion Montréal. Elle photographie des maisons, publie ses clichés et ajoute des informations historiques dénichées dans des documents d’archives. En juin dernier, elle s’est intéressée à la belle jaune, rue de Grand-Pré.

« Mon premier logement à Montréal était à deux pas de là. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Une ancienne publicité est toujours visible sur le mur.

Je ne sais pas si c’est à cause de sa couleur, du fait qu’elle est enclavée ou du mur à côté qui porte une ancienne publicité, mais cette maison est mise en valeur comme un joyau dans un écrin.

Myriam Bouroche

Myriam Bouroche a même invité ses abonnés Instagram à peindre la propriété, comme elle le fait à l’occasion. Une trentaine de personnes de partout dans le monde ont répondu à l’appel.

Voyez les œuvres

« Ça me fascine de toucher des gens qui n’ont jamais visité Montréal ! Il y en a d’Ukraine et de Russie qui vivent la guerre et qui, pour se changer les idées, dessinent nos maisons… C’est incroyable. »

Bernard Cooper a observé avec intérêt chacune des œuvres. « Quelqu’un a dessiné la maison seule, comme elle l’a jadis été. Aujourd’hui, elle est emmurée, mais ce n’était pas comme ça, en 1880. »

Justement, revenons au passé.

* * *

L’album que me montre Bernard Cooper s’appelle L’histoire d’une maison : la maison de Grand-Pré. Selon ses auteurs, la demeure serait l’une des premières construites dans cette partie de Coteau-Saint-Louis, un village d’ouvriers. Aujourd’hui, on parle plutôt du Plateau.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Bernard Cooper a acheté la maison, il y a quatre ans.

Justin Bur, membre de la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal et de Mémoire du Mile End, me confirmera plus tard que le bâtiment a été construit entre 1874 et 1879. Mais pour ce qui est de la ruelle des veuves, aucune trace dans les cartes d’époque… Peut-être un surnom informel ?

La maison a appartenu à diverses familles bourgeoises, dont celle de Joseph-Octave Villeneuve, maire de Montréal et sénateur. En 1947, c’est sous les Duchêne qu’elle aurait acquis le surnom « La flamboyante ». Parce qu’on y était festif ou parce que la toiture était alors rouge, peut-on lire dans l’album.

Sur une photo, une douzaine de personnes posent fièrement, dont plusieurs enfants.

PHOTO FOURNIE PAR BERNARD COOPER

La maison en 1952

PHOTO FOURNIE PAR BERNARD COOPER

La maison en 1952

En 1979, deux hommes ont transformé la propriété en maison de chambres. Ce sont eux qui ont écrit son histoire. Ils ont aussi voué un chapitre à son architecture Second Empire qu’on peut reconnaître à la fausse mansarde, à la symétrie des vestibules ou encore à la tourelle à toit pavillon. Elle servait à l’époque de pigeonnier, est-ce indiqué.

« Dans le sens que… ?

— Dans le sens que les pigeons entraient ! », me répond Bernard en riant.

  • L’album L’histoire d’une maison : la maison de Grand-Pré

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    L’album L’histoire d’une maison : la maison de Grand-Pré

  • La maison est bien éclairée.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    La maison est bien éclairée.

  • Escalier menant à l’étage

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Escalier menant à l’étage

  • Détails de l’escalier

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Détails de l’escalier

  • Grenier

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Grenier

  • Le moderne et l’ancien se côtoient.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le moderne et l’ancien se côtoient.

  • La cuisine de Frédérick Poulin, qui habite au 4660

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    La cuisine de Frédérick Poulin, qui habite au 4660

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Beaucoup de travaux ont été faits, depuis. Bernard Cooper a divisé le bâtiment en deux maisons jumelées et une unité au rez-de-jardin. Il s’est également assuré de lui redonner son cachet d’antan, puisque certaines sections avaient été rénovées selon les diktats de la modernité.

Des gens s’arrêtent parfois pour le remercier d’entretenir la demeure. « Je me rends compte qu’avoir une maison comme ça, c’est être curateur privé. Tu bénéficies des rénovations, mais les passants aussi. »

Et des quidams contents, il y en a…

« Des touristes prennent des photos 12 mois par année ! », m’a dit Frédérick Poulin, quand je l’ai appelé, le lendemain. Il a acheté la partie gauche de la maison en 2019 et comprend la fascination qu’exerce l’endroit. Dès sa première visite, il a deviné qu’il était unique.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Frédérick Poulin a acheté la partie gauche de la maison en 2019.

Mon côté avait toujours ses moulures, planchers et escalier d’origine. C’était vieux et magnifique ! J’ai su que c’était là que je voulais que mes quatre enfants grandissent.

Frédérick Poulin

Il s’inscrit ainsi dans une longue tradition. Au fil du temps, il a découvert différents noms gravés par de petites mains sous des couches de peinture et sur quelques briques…

* * *

Un des chantiers de Bernard Cooper fut la restauration de la tourelle. Il m’invite à la visiter. J’en suis ravie… jusqu’à ce que j’aperçoive l’escalier qu’il faut emprunter pour y accéder.

C’est un escalier à pas japonais. C’est-à-dire qu’il y a une marche pour chaque pied et ces marches sont particulièrement étroites. Avez-vous déjà poussé des petits cris en avançant devant un sympathique étranger ? Moi, oui.

  • L’escalier à pas japonais

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    L’escalier à pas japonais

  • Il ne faut pas perdre pied !

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    Il ne faut pas perdre pied !

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La frousse en valait la peine. Là-haut, aucune trace de pigeon, juste deux jolies fenêtres givrées qui invitent à l’introspection.

« Qu’est-ce que ça vous apporte de connaître le passé de votre maison, Bernard ?

— Ça me donne l’impression qu’il perdure. Ça me fait du bien que des gens aient eu du plaisir en famille, ici… Parce que moi, je n’ai pas eu cette chance. Mon fils était déjà grand quand j’ai acheté. J’aurais aimé faire des arbres de Noël, devant… Mais bon, je n’ai pas de grands regrets. Je commence à faire plus de soupers d’amis et à créer des souvenirs aussi. »

On redescend. Bernard ajoute qu’il me trouve chanceuse de pouvoir sonner chez les gens et visiter leur maison. Beaucoup aimeraient en faire autant.

C’est vrai. D’ailleurs, qu’est-ce qui nous pousse à observer la demeure d’autrui, parfois même de l’autre bout du monde ?

« Chaque fenêtre devient un écran de télévision ou un livre, m’a répondu Myriam Bouroche. Tu y plonges et les autres sont des personnages. Qu’est-ce qu’ils font là-dedans ? Est-ce qu’ils vivent comme moi ? »

Eh bien, sachez qu’ici, ils honorent le passé en rêvant parfois de grands sapins.