(Laval) Moins d’un an après avoir adopté la loi 96, qui était présentée comme « la plus grande avancée pour la langue française au Québec depuis l’adoption de la loi 101 », le gouvernement Legault estime que le déclin du français reste alarmant et qu’il faut « de toute urgence » inverser la tendance.

Dans son allocution de clôture au terme du caucus présessionnel de la Coalition avenir Québec (CAQ) vendredi à Laval, le premier ministre a affirmé qu’il veut que son gouvernement « soit le gouvernement dans l’histoire du Québec qui aura arrêté le déclin du français et qui aura permis de repartir dans l’autre direction ».

Pour y arriver, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a annoncé la formation d’un groupe de ministres qui consulteront des experts et les citoyens au cours des prochains mois afin de déposer un plan d’action d’ici l’automne 2023 pour « ralentir, arrêter et inverser le déclin de la langue française ».

« La situation du français est inquiétante. Les statistiques sont sans équivoque. Notre langue perd du terrain, souvent au profit de l’anglais. C’est vrai sur tous les plans », a-t-il soutenu.

Les Québécois sont à la croisée des chemins. De toute urgence, il faut améliorer considérablement la qualité et la maîtrise du français. De toute urgence, il faut assurer sa vitalité.

Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

M. Roberge réunira dans son comité la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, et la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Martine Biron.

De nouvelles données

Lors de l’étude du projet de loi 96, qui a modernisé par son adoption en juin dernier la Charte de la langue française, des experts et des députés de l’opposition avaient critiqué l’approche du gouvernement Legault en affirmant qu’il n’atteindrait pas son objectif d’arrêter le déclin du français.

Le ministre de la Langue française, un ministère d’ailleurs créé par la nouvelle loi, défend désormais que de nouvelles données publiées en août par Statistique Canada ont secoué le gouvernement caquiste. Ce rapport affirmait que le poids du français continuait de reculer au Québec et ailleurs au Canada.1

« Quand on a reçu les informations du mois d’août 2022, il y a eu une prise de conscience au gouvernement. [On] souhaite un grand réveil national et que tout le monde s’approprie ces informations-là [qui] appellent à plus d’action », a affirmé M. Roberge.

Il a également ajouté que le comité qu’il met en place définira des indicateurs pour mesurer l’évolution du français au Québec. Il est à noter que la loi 96 prévoit aussi la création d’un poste de commissaire à la langue française, dont la fonction est de suivre l’évolution de la situation linguistique au Québec en établissant à son tour des indicateurs.

Langue maternelle

Jean-François Roberge n’est pas en mesure d’indiquer quand le gouvernement du Québec arrivera à inverser le déclin du français dans la province. Il a toutefois affirmé que cet objectif sera précisé lors du dépôt du rapport de son groupe d’action. « Lors du dépôt du plan d’action, c’est sûr qu’il y aura un échéancier. »

Le ministre compte suivre plusieurs indicateurs avec les membres de son comité pour définir l’état de santé du français au Québec, soient « la langue de consommation de la culture, la langue parlée à la maison et la langue parlée au travail ».

Un des indicateurs que l’on a, c’est la langue maternelle. Pour changer l’indicateur de la langue maternelle, qui est une mesure démographique lourde, ça va prendre des années. Mais il peut y avoir des secteurs où ça peut bouger plus vite.

Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

À cet effet, M. Roberge est inquiet du poids décroissant des Montréalais qui ont le français comme langue parlée à la maison. Il a toutefois assuré que le gouvernement ne tentera pas d’« aller les franciser [les citoyens] dans [leur] manière de beurrer des tartines le matin ».

« Une [statistique] qui est très inquiétante, c’est que sur l’île de Montréal, en ce moment, 48 % des Montréalais utilisent le français comme langue parlée à la maison. On sait que la langue parlée à la maison, c’est la langue avec [laquelle] on discute avec nos amis. C’est beaucoup la langue dans laquelle on consomme la culture, les séries qu’on écoute, la musique qu’on écoute. Donc ça peut être inquiétant aussi pour la culture québécoise », a dit le ministre de la Langue française.

« Le gouvernement du Québec n’enverra pas un inspecteur pour voir quelle langue les gens parlent à la maison, mais c’est un indicateur définitif de la vitalité de la langue. […] La langue qu’on utilise à la maison, c’est aussi un indicateur de la langue qu’on utilise pour consommer des biens culturels », a ajouté M. Roberge.

L’opposition réagit

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le député du Parti québécois Pascal Bérubé

Cette annonce du ministre Roberge est un autre aveu d’échec de la loi 96. C’est notre position depuis longtemps : la loi 96 ne renversera pas le déclin du français au Québec, bien que la CAQ qualifiait celle-ci de costaude. Ironiquement, la CAQ a mobilisé des parlementaires, des experts et des démographes pendant une bonne partie du dernier mandat pour travailler sur cette loi, mais a systématiquement refusé d’appliquer les solutions susceptibles de renverser le déclin du français.

Pascal Bérubé, porte-parole du Parti québécois (PQ) en matière de langue française

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La députée du Parti libéral Madwa-Nika Cadet

Si l’objectif est de nous rallier tous autour du français et d’en brosser un portrait rigoureux dans le but de mettre en place de bonnes politiques publiques, nous collaborerons à l’exercice. Cependant, si l’objectif est de réaliser un exercice de relations publiques pour diviser les Québécois à des fins politiques, le ministre ratera une belle occasion de faire œuvre utile.

Madwa-Nika Cadet, porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ) en matière de langue française

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La députée de Québec solidaire Ruba Ghazal

L’annonce de ce chantier est un pas dans la bonne direction, mais une chose est certaine : pour que cet exercice soit une réussite, il doit être transparent et inclure toutes les parties prenantes, dont les partis d’opposition. J’en fais la demande formelle au ministre et je m’attends à une réponse de sa part rapidement.

Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire (QS) en matière de langue française

1. Lisez l’article « Le poids du français en baisse »